Eric Chahi, Frédéric Savoir et Christian Robert sont au cœur du projet Heart of darkness (avec Daniel Morais et Fabrice Visserot). Soit trois ans de labeur acharné pour une production qui voit enfin le jour aujourd’hui. Un travail d’équipe pour ces designers/créateurs d’Amazing Studio, hauts représentants de la fameuse et très prisée « french touch ». La passion démesurée pour le jeu vidéo les a réunis… forcément, le résultat est explosif. Entretien…
Chronic’art : Heart of darkness vous a finalement demandé plus de trois ans de travail. Pourquoi si longtemps ?
Eric Chahi : Nous ne sommes pas très nombreux. Et puis par rapport a ce que l’on cherchait a atteindre, on a du expérimenter beaucoup de techniques différentes avant de trouver les bonnes méthodes. C’était un peu comme dans un labyrinthe. On voulait réaliser quelque chose qui soit soigné a tous les niveaux : jeu, images, son, histoire, voix. On a voulu tout fignoler et ce, toujours pour servir le jeu, pour qu’il y ait une vraie unité entre tous ces éléments. Pas question de bâcler !
Frédéric Savoir : Nous n’étions peut-être pas conscients de la quantité de travail que nous allions devoir effectuer pour venir a bout de ce projet un peu fou. Effectivement, des le début, nous voulions faire un grand jeu qui exploite vraiment le support CD-Rom. Un jeu dont la qualité serait au rendez-vous sur tous les points de vues : l’histoire, la musique, les bruitages, le graphisme, l’animation et surtout, la jouabilité. Car nous sommes des joueurs avant tout. On a tous voulu faire des jeux par plaisir du jeu. Alors pour résumer un peu, nous avons décidé de créer nos propres outils pour construire HOD. Les gens de l’équipe n’avaient jamais utilisé des logiciels de synthèse. Nous avons donc apprit avec nos erreurs et en retravaillant jusqu’à ce que l’on soit satisfait du résultat. Ca nous a pris beaucoup plus de temps que prévu.
Il est également clair que nous manquions d’effectif pour une telle aventure. Mais je pense que ça ne doit pas entrer en considération pour juger de la qualité du jeu. Tu sais, il y plein de films qui prennent plus de trois ans a réaliser et quand tu sors d’une séance qui a duré deux heures, tu ne penses pas a tout le travail qu’il y a derrière? Pour moi une seule chose compte, c’est la qualité du résultat. Tu as sûrement vu Toy story ? Et tu as pensé un instant en regardant le film qu’il y a eu derrière quasiment cinq ans de dur labeur ? J’espère franchement que les lecteurs de Chronic’art apprécieront le résultat, car, finalement, le temps passé sur la réalisation n’est qu’un détail sans importance.
Le jeu correspond-il aujourd’hui a l’idée d’origine ? Et quels sont les points forts du jeu sur lesquels vous avez particulièrement travaillés ?
Christian Robert : HOD se rapproche beaucoup dans l’esprit de ce que nous voulions faire au début du projet… C’est a dire entraîner le joueur dans un univers fantastique, avec une histoire, des rebondissements, et des personnages attachants tout en essayant de garder une certaine unité entre les cinématiques et le jeu. Ce n’est pas aussi évident qu’il n’y parait. Pour ca, nous avons beaucoup travaillé sur les scènes cinématiques avec une approche cinématographique, sur le son et sur le jeu à proprement parlé, avec une gestion dynamique de la stéréo et une richesse des sons qui amplifie les différentes ambiances graphiques (avec Bruce Broughton, un compositeur fabuleux dont nous sommes tous des fans et que nous ne remercierons jamais assez pour la dimension magique qu’il a apportée aux cinématiques).
Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l’intelligence des personnages que l’on rencontre dans le jeu pour qu’ils aient des comportements variés et intelligents… en gros ils ne font pas n’importe quoi n’importe quand. Qu’ils soient seuls ou en groupe, des animations de comportement et de déplacement complexes leurs donnent une vraie personnalité… (contrairement a la plupart des jeux de ce type ou les personnages se déplacent de droite a gauche dans une ambiance « mécanique »). Nous avons aussi passé beaucoup de temps sur la jouabilité d’Andy dont le maniement répond au joystick sans inertie et passe d’une animation a l’autre avec fluidité.
Avez-vous connu des difficultés (techniques, personnelles ou commerciales) au cours du développement ?
Oui. Mais ce serait trop long à expliquer… beaucoup d’embûches rencontrées sur cinq ans et demi de développement. On aurait facilement de quoi écrire un livre !
Le jeu est un peu court. Qu’en pensez-vous ?
C’est un reproche qui revient souvent. Il sera court pour un très bon joueur. Aussi, il est important de ne pas y jouer en mode facile excepté pour un novice. Il faut comprendre que le jeu est particulièrement intense. C’est du concentré d’actions. Il aurait été facile de rallonger la durée de vie du jeu en ajoutant des écrans vides ou similaires au précédents. Cela aurait nui au rythme et HOD serait devenu ennuyeux.
On constate aujourd’hui que les jeux sont de plus en plus beaux, que la production actuelle est techniquement irréprochable. En revanche, il semble que les éditeurs profitent toujours des mêmes recettes (flagrant a l’E3). En gros, l’aspect visuel change, mais le principe demeure (Quake-like, stratégie temps réel, plate-forme…). Pourquoi ?
Eric Chahi : C’est essentiellement du a l’augmentation des budgets de production. On a plus de moyen, au début ça semble énorme. Mais ce n’est pas forcement le cas. Car plus il y a d’argent dépensé, plus les éditeurs veulent être certains de rentrer dans leur frais. Et les éditeurs sont des commerciaux, donc ils se basent sur ce qui a marché. Résultat : beaucoup de productions ne sont que des clones ou des pastiches de jeux existants. Ce phénomène existait déjà même chez les développeurs, mais aujourd’hui le système de production l’a amplifié. Le système se rapproche d’Hollywood dans ce qu’il a de plus mauvais : la digestion de la créativité pour l’imposer aux autres comme un standard dans un objectif uniquement commercial.
Pensez-vous qu’il existe véritablement une french touch ?
Je ne crois pas qu’elle existe. Encore un truc pour cataloguer !
HOD est en cours de traduction. Combien de versions étrangères sont prévues ?
Pour l’instant, il y a déjà les versions française, anglaise et allemande. La version italienne est en cours de réalisation et Infogrames (l’éditeur, ndlr) prévoit de continuer les localisations en fonction des demandes (et il semblerait que ces demandes soient nombreuses). Par ailleurs, il existe une version japonaise qui devrait bientôt voir le jour. Les voix sont déjà enregistrées.
Prévoyez-vous une suite ? Et quels sont les projets en cours de développement chez Amazing ?
Non, aucune suite n’est prévue pour l’instant. Nous allons prendre un peu de repos… Quelques vacances après toutes ces années de travail intense. Ensuite on verra…
Propos recueillis par
La critique d’Heart of darkness sur Chronic’art
Ils sont déjà responsables de…
Éric Chahi :
Le Pacte (Commodore 64)
Les Voyageurs du temps (Amiga)
Another world (Amiga, Atari, PC)
Frédéric Savoir :
Flashback (Amiga, PC)
Christian Robert :
Les Voyageurs du temps (version PC)
Croisière pour un cadavre (version PC)
Opération stealth (version PC)
Another world (version PC)