Concept-album liquide, Ce très cher Serge : Spécial origines paie sa tournée à Gainsbourg et Vannier, Verne et Cousteau, Strange et Requins Marteaux, en une odyssée marine dont on ne revient pas, sinon poisson-bulle ou saoule sirène, en tout cas tout ouïes. Chronique, interview, et en concert ce soir aux Siestes Electroniques (Toulouse).
La musique d’Aquaserge est particulièrement illustrative (on « entend » tempête, abysses, tourbillons). Est-ce qu’elle doit participer selon vous de la narration ?
Benjamin G. : Effectivement, nous avons eu le souci de raconter une histoire avec la musique, ou en tout cas que cette dernière soit vécue comme immersion. Elle est une seconde trame par rapport aux textes, mais je ne dirais pas que la musique puisse être illustrative. Elle est toujours abstraite et liquide, mis à part le clin d’oeil évident, souvent grossier, que nous pratiquons parfois : on chante tempête et on entend un éclair… c’est dans l’abstraction que la musique donne à voir, car si l’on perçoit des abysses et tourbillons, nous les voyons plutôt que nous les entendons. Il y a une dimension cinématographique dans cette musique, et son intérêt réside dans le fait qu’il n’y ait pas de film. Il y a un monde entre suggérer et montrer. Au cinéma, selon moi, le rapport image/musique est surestimé. La musique sert en général de lubrifiant pour le montage image. Il y a de très bonnes musiques de film, mais dans ce cas là, le film importe peu. On colle à la musique des vertus évocatrices ou expressives claires et c’est une erreur ou quelque chose à dépasser. Elle est dans une autre sphère que celle du sens. Dans la sensation et non le sentiment… Mais ces questions se posent car nous faisons des albums concepts et l’album concept entraîne avec lui diverses interprétations. Tout y prend sens et on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le cinéma.
Doit-on voir dans l’histoire de Serge une métaphore des méandres, limbes et affres dans lesquelles peuvent nous plonger la recherche de l’être aimé (une étoile des mers) ? Même question pour l’alcool (doit-on voir dans cette histoire une métaphore des méandres, limbes et affres dans lesquelles peut nous plonger l’alcool ?)
Julien G. : De grâce, je n’ai jamais plongé dans le ruisseau à la vue du reflet de mes traits, Serge, lui, tel un Narcisse moderne, a plongé dans l’erreur et à la fois dans la certitude. Peut-être que ce qu’il a vu n’est pas une étoile de mer mais bel et bien sa propre projection, le mystère demeure sur ce détail du tableau !? Ce que l’on sait c’est que le monde va être englouti, qu’un messager, en l’occurrence, cet animal marin viendrait tel un ange gardien pour lui dire de se tailler vite fait. Ne vous méprenez-pas, il n’y a ici aucune métaphore, c’est du réalisme pur : il boit, voit l’étoile et part vers un monde meilleur. Notre héros est un aventurier égoïste et loser (« les véritables héros pourraient être les losers ? »), il n’a pas vraiment de but, il souhaite seulement s’offrir une nouvelle forme de vie après avoir travaillé à sa grande oeuvre submersible. A ce moment x, il est surtout touché par l’alcool, voilà tout ! Comprend qui veut, le mystère plane, le livret est à l’image d’un comic, dont j’étais friand enfant. Il y a des successions d’actions, de scénettes et les détails sont surtout des prétextes à chanter, à développer, à rêver et à infuser pour chacun d’entre nous.
Est-ce que l’azote mêlé à l’oxygène peut être une drogue hallucinatoire ?
Il est délicat de s’engager dans des considérations scientifiques, mais je vais m’y essayer. Voilà, très chers cerveaux, la réaction azote oxygène forme trois oxydes stables, l’un d’eux, le monoxyde d’azote, est généré par le corps humain ; neurotransmetteur, il joue notamment un rôle important pour l’obtention d’une érection durable. Il apparaît aussi sous la forme d’un gaz incolore (difficilement liquéfiable) et adopte le comportement d’un « oxyde indifférent » de la catégorie des hallucinogènes. Utilisé en médecine en association avec les anesthésiques, il permet d’augmenter leurs effets sur le patient lors des opérations. Le monoxyde d’azote, aussi appelé oxyde d’azote, est plus connu sous le vulgaire nom de « gaz hilarant ». A forte dose, il pourrait vous donner l’effet d’un bon shoot d’eau écarlate, ou d’un buvard, j’en déconseillerais toutefois l’usage aux asthmatiques et aux personnes souffrant de troubles cardiaques.
Même question pour la musique. Peut-elle être une drogue hallucinatoire ?
Bien sûr, ça l’est. Depuis l’enfance, j’ai des frémissements dans le crâne lorsque je joue certains disques, c’est revenu ensuite lorsque j’ai commencé à jouer en groupe à 14 ans, puis en live et en studio.
J’aime beaucoup le moment où Serge remonte vers la surface de l’eau, qui a disparue. Faut-il qu’aucun retour ne soit possible pour découvrir de nouveaux mondes ? Peut-il y avoir une profondeur sans surface ?
Benjamin G. : Oui. Il n’y a de toute façon jamais de retour possible. Il y a toujours de nouveaux mondes à découvrir, mais il faut détruire la posture colonisatrice qui est le mode de découverte occidental et cela dépasse le simple fait d’aller sur la lune. Les mondes à découvrir sont ici et les colons aussi. S’il n’y a plus de surface, la profondeur, elle, est infinie. Il s’agit de peupler ou de repeupler les profondeurs. Serge s’est retrouvé par hasard dans son sous-marin. Il n’a pas de mission, il n’est pas coupable. Il ne paie pas pour l’humanité et ne doit pas la sauver .Le sous marin permet de se mouvoir par en dessous, invisible. Il nous faut trouver des sous-marins pas trop cher, peut-être sur www.leboncoin.fr
Selon Guy Kieffer, chargé de recherche au CNRS, géographe et géologue qui s’est penché sur les sources de Platon : « L’Atlantide n’a jamais existé. Elle correspond à une allégorie imaginée par Platon pour donner une leçon de civisme et de bonne conduite à ses concitoyens d’Athènes et dénoncer leur mercantilisme, leur indiscipline, leurs querelles et l’esprit démagogue de leurs moeurs politiques ». Qu’en pensez-vous ?
Que l’Atlantide existe ou non, que son mystère aitdes bases plus ou moins historiques, importe peu. Nous sommes ici du côté du mythe. Si Platon a créé un mythe pour exposer sa théorie politique, Serge, lui, crée un sous-marin pour fuir un monde qui l’ennuie et le dégoute. Ce n’est pas la même démarche. Il est nihiliste, seul face à l’humanité et ce n’est que plus tard, après avoir été prisonnier des eaux et de sa coque de fer, qu’il devra composer avec d’autres hommes. Que va-t-il se passer ? Réflexion faite, il ne fait aucun doute que l’Atlantide ait existé puisque l’Aquaserge a navigué dans ses terres.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Ce très cher Serge : Spécial origines