Avec Arrhythmia, nouvel album paru chez Warp, Antipop Consortium confirme son rap mutant. Dans un bureau désaffecté de PIAS, roulage de joint et entretien avec le subtil M Sayyid, un des trois membres de Antipop Consortium.
Chronic’art : Vous êtes résidents new-yorkais. Quelle différence cela fait-il pour vous de vivre à New York ?
M Sayyid : L’effet de la ville est plus ou moins conscient. Habiter à New York signifie être exposé à une foule d’événements et de sensations en même temps. Paris, en ce sens, est assez proche de New York. Les gens sont au courant de ce qui se passe, de ce qui se fait. Et sont dans une dynamique, une activité constante. Et aussi, de tous les Etats-Unis, les New-yorkais sont les plus fiers, en quelque sorte, de leur ville.
Comment travaillez-vous ?
L’écriture des textes et la production sont deux activités séparées. Nous écrivons d’abord chacun nos textes. Ensuite, on part d’un beat, on l’écoute et on le travaille longtemps pour saisir son esprit, l’atmosphère qu’il va dégager, et on pose dessus un texte. Ensuite, on retravaille le morceau, on le déstructure, on l’arrange à notre manière, pour qu’il ne soit pas juste un beat avec une voix, mais pour que les deux s’accordent. On est tous autant producteurs que Mcs, donc il y a un bon équilibre entre nous trois. Ca crée une émulation entre nous, qui nous pousse vers l’avant. Maintenant, on peut même s’entraider les uns les autres sur les projets solos de chacun, sans qu’il y ait aucun problèmes d’ego.
Les arrangements sont assez minimalistes, et pas forcément musicaux. Ils semblent viser plus à la création d’atmosphères que de phrases mélodiques. C’est un choix de votre part ?
Effectivement, on ne joue pas des notes, de la musique, mais on recherche d’abord la justesse, la précision (accuracy) des sons. On ne va pas se dire « Oh, il faudrait un violon ici », mais plutôt « Oh, il faudrait un son qui ressemble à un violon », ou alors non pas « une basse », mais « une basse ouverte » ou « un piano aigu« . On part du beat, on dessine autour de ce canevas de manière à ce que tous les sons participent adéquatement du discours qu’on veut produire. Si le beat a un feeling « de mort », on dessinera autour de lui des sons qui auront un feeling de mort et les textes qu’on posera dessus auront un feeling de mort également.
Votre signature sur le label Warp devrait élargir votre public vers les fans de musique électronique. Vous appréciez cet aspect ?
Oui, c’est cool. Je ne connaissais pas Warp, mais Priest et Beans connaissaient le label. On les respecte totalement parce qu’ils nous permettent de produire confortablement et librement la musique qu’on veut faire. De toute façon, le hip-hop, c’est de la « musique électronique ». La musique électronique vient des musiciens noirs, des radios noires. Afrika Bambataa, c’était de la musique électronique. Pour moi, l »electronica » vient de là, de l’esprit du hip-hop. Au niveau des sons, de la musique et de la production, le hip-hop, comme l’electronica, n’a pas de règles. Ce qui définit le hip-hop, c’est surtout la présence d’un Mc, de textes, de flows. Mais le hip-hop est avant tout une exploration, une exploration du beat.
Il y a des beats assez old school sur ce nouvel album. Ca donne un mélange inédit de sons un peu rétro et de modernisme…
Oui, les gens disent ça. Ce sont les boîtes à rythmes qu’on a utilisé qui sont assez anciennes effectivement. Mais en grandissant à New York, on a écouté des trucs comme Kraftwerk, MalcomMc Laren, The Fat Boys, Art of Noise. Ce qui fait que notre culture est mixte, mélangée, de choses anciennes ou récentes, de musique blanche ou noire. Mais on ne fait pas du hip-hop old school, c’est clair, on rime en 2002.
Aujourd’hui, qu’écoutez-vous ?
Plein de trucs : des trucs populaires comme Naz, Jay-Z, un peu de R&B, même s’il y a beaucoup de déchets dans le genre, ou des groupes hip-hop plus underground…
Def Jux ?
Oui, bien sûr. Mais je n’aime pas trop mentionner d’autres groupes, parce que les médias étiquettent les groupes très vite, et les cloisonnent… J’adore Def Jux, je vais même faire un EP pour eux, mais je ne veux pas que les médias nous réduisent tous à la petite scène underground new-yorkaise, c’est trop facile… Chacun a sa complexité, ses caractéristiques, qu’on doit respecter.
Antipop écoute aussi de la pop ?
Mes influences, personnellement, vont de tout ce qui passe dans les radios populaires, à ma collection de disques, qui est très éclectique. De la pop, du hip-hop, peu importe, ce qui compte dans les musiques qu’on écoute, c’est ce qu’elles nous apportent pour continuer dans la tâche que nous nous sommes fixés : soit explorer les beats et les rimes, et être bons dans cette exercice. Les gens nous reprochent parfois de nous appeler Antipop et d’être pop, « populaires ». Mais on ne cherche pas à vendre des millions de disques, on cherche juste à parvenir à ce but qu’on s’est fixé artistiquement. Il peut y avoir du pop dans antipop. Et si un jour on est « populaire », on le sera peut-être justement parce qu’on est resté intègre, en accord avec nous-mêmes.
Tragic epilogue a été élu « meilleur album de l’année 2000 » par la revue The Wire. Est-ce que cette reconnaissance critique a été importante pour vous ?
J’apprécie ce magazine, j’apprécie les papiers parus nous concernant. Je croyais que les gens qui aimaient l’electronica avaient une opinion défavorable sur le hip-hop. Et ça m’a fait plaisir de voir le Wire parler de hip-hop de manière si enthousiaste. D’autant que des magazines hip-hop, comme Herb, nous soutiennent aussi. J’espère que les gens auront des avis moins tranchés désormais sur ces questions de genres musicaux, ces étiquettes.
Propos recueillis par
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