La musique d’André Popp a traversé le XXe siècle et fait partie intégrante de notre culture musicale, consciente ou inconsciente. Nous avons rencontré André Popp, vieux monsieur espiègle qui n’a pas l’air de comprendre pourquoi tout le monde lui pose toutes ces questions… Biographie commentée par le maître.
Né en 1924 à Fontenay Le Comte, André Popp commence la musique à 5 ans, suivant une formation classique au piano. Les biographies qui circulent sur le Web affirment toutes (syndrome du copier/coller) qu’il aurait remplacé son père, pendant la guerre, derrière l’orgue de l’église de la ville. Monsieur Popp dément : « C’est une erreur, je n’ai pas remplacé mon père, mais un père, qui était abbé de l’école religieuse où j’étais inscrit, et qui devait partir à la guerre. » Une traduction franco-anglaise défaillante a ainsi déformé une filiation musicale, qui était en fait plus spirituelle que corporelle. « Ma vocation musicale est effectivement venue de là. Pendant les récréations, j’allais répéter à la chapelle les parties d’orgue que je devais jouer le dimanche, et je faisais déjà des choses très modernes, j’improvisais, et ça me plaisait beaucoup. » A Fontenay Le Comte, André Popp rencontre l’auteur Pierre Broussolle, futur compagnon de la chanson, avec qui il monte à Paris, alors qu’il n’a que 20 ans. Là, le duo s’oriente avec succès vers le cabaret, et compose pour Bourvil ou Catherine sauvage.
Popp’ culture
Dès 1949, André Popp commence à travailler pour l’ORTF, où il dirige des orchestres de plus en plus larges. Il parfait sa culture musicale. « Ma culture, c’était plus Debussy, Ravel, Messiaen, des musiciens qui ont rendu plus moderne la musique classique ». Il insuffle ces influences dans des compositions populaires, telles ses Lavandières du Portugal, chantées par Jacqueline François et premier succès commercial en 1954. André Popp semble déjà se partager entre expérimentation, composition, sophistication et accessibilité, musique populaire, commerciale. « J’ai toujours essayé d’introduire, même dans des chansons très grand-public, des dissonances, des expérimentations. Un chef d’orchestre de l’époque m’avait appelé en me disant qu’il essayait d’enregistrer Les Lavandières, mais qu’il y avait un accord qui ne collait pas avec la tonalité d’ensemble, qu’il ne pouvait pas faire… Je lui ai dit : « Ecoutez, toutes les version des Lavandières ont été faites avec cet accord et ça s’est très bien passé, la chanson marche très bien comme ça. » Il a finalement obtempéré. Mais ça le gênait ». Aux côtés de Michel Legrand, il est engagé en 1956 comme chef d’Orchestre chez Philips et Fontana, où il accompagne ou compose pour Jacques Brel ou Juliette Greco. Avec le disque pour enfants Passeport pour Piccolo Saxo et Cie, André Popp a la grande idée de personnaliser les instruments, de les faire s’incarner par des voix propres. La musique devient réellement vivante, et pour toute une génération, Piccolo, Saxo et Cie est un rite d’initiation et de compréhension de la musique et des instruments. « J’ai toujours beaucoup travaillé pour les enfants, pour la bande Originale de Tintin, Babar, j’ai toujours essayé de faire une musique gaie, optimiste, ça correspond complètement à ma personnalité ». Suivront Piccolo, Saxo et le cirque Jolibois (1958), Piccolo et Saxo à Musique City (1972) et Piccolo et saxo, la symphonie écologique (1976), qui éduqueront plusieurs générations de futurs musiciens.
Popp’in
Mais la musique d’André Popp ne devient véritablement culte qu’avec le disque produit en 1958 à l’aide de Boris Vian : Elsa Poppin’, sous titré Delirium in hi-fi est un incroyable patchwork avant-gardiste de javas et de polkas revisitées par les premières expérimentations sonores. Bandes ralenties, inversées, premiers échos et delays : « Delirium in hi-fi était basé sur les trucages sonores. On avait quatre-cinq magnétos, qu’on faisait partir à vitesses différentes, pour obtenir des décalages. On faisait passer des bandes à l’envers, deux fois plus vite, deux fois plus lentement On a beaucoup travaillé à deux, avec l’ingénieur du son, et on ne savait pas trop ce que ça allait donner. C’était assez compliqué, car les instruments, du fait des déformations, étaient toujours ou plus hauts ou plus bas que leurs registres normaux, et il fallait organiser ces différentes tonalités harmonieusement, ce qui n’était pas évident. Un jour, j’ai été appelé à la MGM par le directeur musical. Il me demande : ‘Mais quelle est cette merveilleuse trompette, qui joue dans Perles de cristal (qui est un classique de l’accordéon, qui se joue très vite) ?’. Je lui réponds : ‘C’est un trombone, qu’on a enregistré à demi vitesse, et qu’on a rétabli à vitesse normale…' »
Popp corn
Certains diront ainsi à propos de ce disque qu’André Popp et Pierre Fastôme auront inventé de nouveaux instruments. « Le disque eu beaucoup de succès auprès des critiques et des radios. Le succès public a été moindre, mais ça a beaucoup plu aux américains… ». Elsa Poppin’ pourrait être le premier disque de musique psychédélique, et l’influence marquante de nombreux musiciens, à commencer par Jean Jacques Perrey et Gershon Kingsley qui travailleront les sons de la même manière sur Pop corn ou Baroque hoedown… Mais André Popp semble ne pas reconnaître ces fils spirituels. En fait, il s’intéresse peu à la musique commerciale : « J’écoute essentiellement de la musique classique, moderne. J’ai toujours évité d’écouter de la musique de variété, pour ne pas subir d’influence. Sauf les choses très importantes, comme West side story par exemple, qui est vraiment le type de compositions que j’aime, à la fois très populaire et très compliquée. La musique de Bernstein est très compliquée, très dissonante, très violente. »
Euro Popp
En 1960, André Popp et Pierre Cour remportent le prix de l’Eurovision avec la chanson Tom Pillibi, chantée par Jacqueline Boyer. Il compose également la musique du long métrage Tintin et le mystère de la toison d’or. Il a beaucoup de contrats en tant qu’arrangeur-compositeur, pour Marie Laforêt, Nana Mouskouri, Petula Clark, françoise Hardy, Sheila ou France Gall. A la même époque que Phil Spector, Brian Wilson ou Burt Bacharach, il fait partie de ces producteurs qui ont modifié la portée de la musique populaire par l’apport d’arrangements pour orchestres sophistiqués. « J’ai adoré les Beatles. Mais ils doivent beaucoup à leur arrangeur, George Martin. J’ai eu l’honneur de déjeuner avec lui un jour à Londres. Il a énormément apporté à la musique de variété : les quatuors à cordes, l’utilisation des instruments de façon insolite, ont apporté quelque chose de très riche à la musique populaire. ». En 1967, la chanson L’Amour est bleu, quoique échouant à l’Eurovision, devient n°1 aux USA grâce à l’interprétation de l’orchestre de Paul Mauriat. Le disque s’écoule à plus de 40 millions d’exemplaires. André Popp a désormais les moyens de ses ambitions : « J’ai été le premier à innover la stéréo, le premier à faire des arrangements en stéréo, avec des chansons populaires. C’était une découverte extraordinaire. Et j’ai aussi été le premier à travailler dans un studio 32 pistes… » Très recherché, André Popp compose et enregistre pour Claude François, Régine ou la jeune Céline Dion. « J’ai connu Céline Dion très jeune, elle devait avoir 14-15 ans, et je travaillais avec un de ses producteurs. A l’époque, elle avait déjà l’aura d’une super-vedette. Elle avait tout : la présence, la voix extraordinaire, même si à l’époque, elle n’avait pas trouvé sa voix, elle imitait un peu Mireille Mathieu… »
Popp’musique
Aujourd’hui sort la compilation Popp musique chez Tricatel, résumé incomplet mais passionnant de la longue carrière d’André Popp. On y trouve par ailleurs des extraits de Mon cinéma à moi, 12 instrumentaux enregistrés en 1974 et dédiés aux actrices du moment, que Polydor n’a pas trouvé bon de sortir en son temps. On espère que cette compilation suscitera des curiosités, autant qu’une nouvelle version, cinématographique cette fois, de Piccolo et Saxo, suscitera à nouveau des vocations. « Ces dernières années, j’ai un peu arrêté la musique, parce que je deviens vieux. Mais je m’y remets en ce moment sérieusement pour la version cinéma de Piccolo, Saxo et Cie, une version animée en images de synthèse. Musicalement, on refait tout. On a juste gardé le thème principal, mais tout le reste sera nouveau. Et il n’y aura plus de récitant, rôle que tenait François Périer à l’époque. Il va falloir qu’on trouve des voix pour Piccolo et Saxo, Grand-Père Basson, Mademoiselle Harpe… C’est beaucoup de travail. »
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