La lecture régulière des journaux aux rubriques « disparitions » ou « nécrologie » procure souvent un sentiment mélangé de nostalgie et d’agacement face aux éloges posthumes obligés. On se met facilement à regretter que tel cinéaste, comédien ou écrivain ait disparu sans avoir connu de son vivant une reconnaissance méritée. Heureusement, ça n’a pas été le cas d’Anatole Dauman, décédé le 8 avril dernier à l’âge de 73 ans.
Il était l’un des plus grands producteurs français, nous le savions tous et lui aussi. Des rétrospectives, articles, un ouvrage publié en 1989 sont venus souligner la richesse du « catalogue » de sa société de production : Argos Films.
La seule lecture des longs et courts métrages qu’il a produits suffit à définir ses orientations et à mettre en lumière les principales caractéristiques de son travail : l’audace, la recherche d’auteurs, le soutien et la fidélité à certains cinéastes. Depuis 1952, il a produit près de 35 longs métrages et plus de 110 courts métrages. Attiré par un cinéma d’auteur, Dauman s’est notamment battu pour les films réalisés par Chris Marker (Lettre de Sibérie), Alain Resnais (Hiroshima mon amour, L’Année dernière à Marienbad, Muriel), Jean Rouch (Chronique d’un été), Robert Bresson (Au hasard Balthazar, Mouchette), Godard (Deux ou trois choses que je sais d’elle, Masculin-féminin), Volker Schlöndorff (Le Coup de grâce, Le Tambour), Nagisa Oshima (L’Empire des sens, L’Empire de la passion), Wim Wenders (Paris-Texas, Les Ailes du désir, Jusqu’au bout du monde)…
Par les longs et courts métrages produits, Dauman a ainsi participé activement à tout ce qui a compté dans le cinéma depuis 40 ans. A la pointe également concernant la technique cinématographique, il est présent sur le front des innovations lorsqu’apparaissent les pellicules suffisamment sensibles pour filmer en décor naturel sans éclairage, le micro-cravate, le Dolby, le son numérique…
D’une grande truculence, sarcastique et parfois provocateur, chacune de ses interventions en public prenait la forme d’un véritable réquisitoire contre tout ce qui fonctionnait mal dans le cinéma : il s’en prenait alors aux bureaucrates, à certains ministres, à la logique commerciale, aux monopoles…
Producteur de courts métrages de Franju, Gruel, le nom de Dauman reste attaché à deux œuvres majeures qui résument son attachement à un certain cinéma d’auteur : Nuit et brouillard d’Alain Resnais et Chronique d’un été (Jean Rouch et Edgar Morin), film emblématique du cinéma-vérité. Jean Rouch rêve d’ailleurs toujours de tourner une suite à Chronique d’un été, 37 ans après. En 1961, ce film proposait une véritable étude sociologique des préoccupations d’une partie de la société de l’époque. Ces préoccupations transparaissaient notamment à l’occasion de courtes discussions au hasard des rencontres. Dans un passage devenu célèbre en effet, Marceline Loridan (qui deviendra l’épouse de Joris Ivens) demandait tout simplement aux passants : « Etes vous heureux ? ». Quel producteur aujourd’hui reprendrait le flambeau de Dauman ?