Avec La Colline a des yeux, remake hollywoodien qui dépote du film culte de Wes Craven, Alexandre Aja réussit là où nombre de jeunes cinéastes français avaient échoué avant lui. Il était temps. Entretien avec le réalisateur.
– entretien publié dans Chronic’art #26, en kiosque –
Chronic’art : Quel rapport entretenez-vous avec le film original de Craven ?
Alexandra Aja : J’ai développé ma cinéphilie dans les années 90 avec mon meilleur ami Grégory Levasseur, scénariste et directeur artistique avec qui je travaille aujourd’hui. Je l’ai rencontré sur les bancs du collège alors qu’il lisait un Mad Movies dont le film de Craven, Shocker, faisait la couverture. On avait 10 ans et on a grandi ensemble en découvrant, sur cassettes, tous les films d’horreur qu’on ne trouvait plus au cinéma. On était très frustrés parce que les années 90 étaient terribles pour le genre, sans rien de véritablement effrayant. On s’est donc tourné vers les vidéoclubs, qu’on a écumés. Pour être tout à fait exact en ce qui concerne La Colline, j’étais surtout marqué, plus que par le film lui-même, par sa jaquette, avec le visage terrifiant de Michael Berryman en gros plan sur fond orange… Mais curieusement, mon premier choc concernant Craven a plutôt été La Dernière maison sur la gauche, bien plus finalement que La Colline a des yeux, que je trouve plutôt drôle, kitsch et très mal joué. J’en ai depuis beaucoup parlé autour de moi, et tout le monde aime ce film pour son coté comédie noire.
Cette distance a-t-elle joué dans votre approche du remake ?
Oui, de manière assez paradoxale. Lorsque Wes nous a demandé d’en faire le remake, on s’est rendu compte que, contrairement à tous les grands films d’horreur qu’on adorait, La Colline n’était pas un film qu’on aimait pour les mêmes raisons et que, du coup, il méritait d’être revisité. On a souhaité le ramener vers quelque chose de plus 70’s, de plus vrai et sauvage. Ça a été notre point d’entrée, au delà de tout le background nucléaire qu’on a ajouté dans le scénario. L’objectif, c’était de respecter l’âme du film tout en le rapprochant de l’état d’esprit de Massacre à la tronçonneuse ou de Délivrance.
Comment s’est passée la collaboration avec Wes Craven ?
Après avoir vu Haute tension, Wes Craven nous a proposé le projet. Il nous a laissé une liberté quasiment totale sur l’écriture. Finalement, cette liberté est toujours très ambiguë parce qu’il a naturellement fini par critiquer notre travail. En fait, les bras de fer ont commencé dès la réécriture avec la production du film. Il y a eu des clashs, des tensions, mais j’ai tenu bon parce que j’avais une idée très précise de ce que je voulais faire. Personnellement, je le voyais comme un film qui viens après Haute tension, je ne voulais pas me tromper, ni faire autre chose. Craven n’est pas venu sur le tournage, il a juste vu les rushes, qu’il a aimés. C’est à la fin du montage qu’on s’est retrouvé en conflit. Puis il y a eu l’épreuve des projections tests qui m’angoissaient terriblement et qui ont finalement joué en ma faveur. La veille, Craven disait : « Il faut retourner la fin, changer ça, couper tout le début », etc. Après le succès des tests, malgré que les studios lui avaient laissé le final cut, il nous a protégé de tout le monde, et surtout de lui-même.
Avez-vous songé à faire à nouveau appel à l’acteur Michael Berryman, si important dans l’impact du film original ?
Bien sûr, nous avions pensé à lui pour un rôle voire une apparition, mais Craven s’y est opposé. Pour lui, le personnage le plus emblématique de La Colline a des yeux, c’est le père de famille…
L’extrême violence du film a-t-elle posé problème ?
Pour Wes, le film était beaucoup trop violent. Il avait très peur, on s’est engueulé, il a même dit en interview que j’étais fou à lier et qu’il fallait m’interner. On est passé quatre fois devant l’unité de censure américaine et finalement on a seulement dû retirer trois minutes. Mais ça a été un vrai combat. La censure américaine n’a pas dû digérer certaines choses, notamment le fait que la famille Carter soit aussi réaliste. Ce coté massacre organisé des républicains a fortement déplu, donc ils se sont vengés sur des scènes plus faciles à interdire, comme le viol de Wanda.
Ce qui marque surtout, c’est la simplicité de votre mise en scène, loin du syndrome qui frappe nombre de jeunes cinéastes français à Hollywood…
Il y a quelques plans un peu épiques, mais globalement, ça a été la même mise en scène que pour Haute tension, à hauteur d’homme, assez sobre et carrée. On a appliqué les mêmes règles, on a utilisé les mêmes focales, on a rien changé. C’est une méthode qui me va bien, tellement différente de Silent Hill par exemple, avec ses mouvements de grue permanents.
Parlez-nous de cet aspect épique qui transparaît néanmoins dans le film…
On s’est d’abord demandé s’il ne fallait pas faire un film craspec en 16 mm et caméra à l’épaule. Puis on a décidé de la jouer film d’aventures. Et finalement, le film le plus proche de ce côté épique, même s’il n’a dans l’absolu rien à voir, c’est Délivrance. Un peu plus loin encore, on a pensé à La Planète des singes. On débarque sur une planète inconnue dans des grands espaces, on découvre des choses un peu terrifiantes. Je parle surtout du début, vraiment emprunt de science-fiction… Par ailleurs, je me suis vraiment battu avec Wes pour lui expliquer qu’on voulait se focaliser sur le point de vue de la famille Carter et non pas opposer deux clans comme lui l’avait imaginé. Pour moi, les créatures du film existent même encore un peu trop. Dans le survival, j’adore cette unité de point de vue, et je tenais à respecter cette règle jusqu’au bout pour que l’on puisse s’identifier au maximum aux personnages.
Cette tendance à éprouver physiquement le spectateur s’applique à de nombreux films d’horreur récents…
Avec Greg, on était vraiment désespérés des films édulcorés des années 90. Quant on a fait Haute tension, on l’a pris comme un hommage aux films des années 70, de La Dernière Maison sur la gauche à Halloween, pour réhabiliter cette violence pas forcément réaliste mais qui prend le spectateur aux tripes. L’idée de Haute tension était d’épuiser le spectateur au même titre que les personnages. On est venu me chercher pour écrire La Colline à des yeux pour les mêmes raisons. Parallèlement, beaucoup de réalisateurs ont suivi le même chemin de retour à ces années-là, notamment Marcus Nispel sur Massacre à la tronçonneuse. On peut imaginer qu’on reviendra bientôt également sur le gore plus ludique des années 80…
Quelle limite vous fixez-vous pour choquer le spectateur ?
Je ne m’en rends pas bien compte, je n’ai pas le recul nécessaire, mais il me semble que certains films vont beaucoup plus loin que La Colline, comme le nouveau de Rob Zombie (The Devil’s rejects, en salles le 19 juillet 2006) qui est, grosso modo, un mélange de Bonnie & Clyde et de la famille Manson. C’est beaucoup plus problématique parce que le film se place du côté des méchants, c’est très ambigu. Personnellement j’adore, mais je peux comprendre que ce genre film ne doive pas être vu par tout le monde. Pour moi, c’est différent : que ce soit Haute tension ou La Colline a des yeux, je me place toujours du côté des victimes. Tant que la violence n’est pas perçue comme ludique, ça va. Moi j’ai toujours peur au cinéma, je suis très bon public et c’est avant tout pour cette raison que ça m’excite complètement de réaliser ce genre de films.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de La Colline a des yeux, d’Alexandre Aja