Leur portrait noir et blanc de l’Amérique profonde est si authentique et cruel qu’on a eu vite fait de les réduire à une simple formule… Mais 16 Horsepower est bien plus que la combinaison la Bible-le Bien- le Mal. Ecoutez Secret south et repentez-vous !
Chronic’art : Vos sentiments au moment où sort Secret south ?
David Eugene Edwards : J’en suis très content, car nous avons pu le produire nous-mêmes et ainsi il est tel que nous l’avons souhaité. Il représente de façon très exacte ce qu’est 16 Horsepower. Secret south est terminé depuis des mois et c’est un moment délicat : le public va l’écouter, le juger. On ne sait pas qui va aimer ou pas, ça me rend anxieux.
En trois disques, vous avez développé un son et un style reconnaissables. Vous envisagez de vous en éloigner un jour ?
David Eugene : C’est notre façon de faire de la musique. On utilise des instruments, des sonorités et des stratégies différentes à chaque fois, mais il y a toujours une constante. Un lien entre chaque album.
Jean-Yves : On essaie d’aller dans des directions où personne ne nous attend..
On ne vous confondra jamais avec Mariah Carey, quand même…
David Eugene (éclate de rire) : Ca non. Aucun risque. On ne prend jamais de décisions précises concernant notre musique. On va où elle nous conduit.
Tu es décrit comme étrange, sombre, intense. Vérité ou projection à travers ton style musical ?
David Eugene : Je crois que ça vient de ce qui m’influence. La majeure partie de la musique qu’on écoute pourrait être considérée ainsi. Intense, par exemple. On ne joue pas la comédie, on essaye ni d’être tristes, ni d’être joyeux. On est seulement réalistes, avec nous-mêmes et avec notre musique.
Marre des clichés ?
Jean-Yves : Comme avec tous les clichés, ils finissent par être des étiquettes qui rebutent certaines personnes, freinent leur curiosité d’écouter ton disque. Ils se disent que ce n’est pas pour eux. Enfin, il y en aura pour aimer l’étiquette sinistre !
David Eugene : On ne peut pas contrôler ce que pensent les gens et, de toutes façons, on ne le veut pas.
Jean-Yves : Quelquefois, en tournée, on lit la presse locale, et on a l’impression de toujours lire la même chronique. C’est chiant, même s’il y a un fond de vérité. On aime les accords mineurs, on aime les ambiances et les atmosphères et ça finit par créer une espèce de tristesse générale.
Tes paroles véhiculent une très forte imagerie…
David Eugene : Mes idées viennent de très nombreux points de départ, que je ne pourrais pas vraiment détailler. En général, elles sont très visuelles. Je vois mes chansons comme une photo ou un petit film. J’essaie d’écrire la bande sonore de nos vies.
Vous jouez sur de vieux instruments. Vous ne pourriez pas être 16 Horsepower sans eux ?
David Eugene : C’est vrai, on ne pourrait pas créer notre musique sur de nouveaux instruments. On pourrait essayer, mais j’aurais peur qu’ils manquent de caractère. Personnellement je suis dépendant d’eux pour composer le genre de musique que fait 16 Horsepower. Je ne les domine pas vraiment. Je ne suis pas du genre à prendre n’importe quel instrument, neuf ou d’occasion, et à en tirer quelque chose comme ça, facilement. Ils m’aident. Les instruments anciens exercent une double attraction sur moi : visuelle d’abord, et puis au niveau du son. Le temps les a améliorés, comme s’ils étaient du bon vin. Leur son est plus doux, plus arrondi en général.
Et comment rencontres-tu tes instruments ?
David Eugene : Toutes mes guitares sont celles dont personne n’a voulu. Elles traînaient dans des fonds de boutique, elles prenaient la poussière, elles étaient trop vieilles pour attirer les acheteurs. Moi, j’en tombais amoureux et je les payais 40 dollars. Maintenant, ces instruments sont redevenus populaires aux USA et valent dix fois ce prix. Mon premier banjo m’a été donné par un copain qui l’avait trouvé dans une poubelle. Il n’était pas en super état, mais ce copain savait que je l’aimerais malgré tout. Je n’avais jamais touché de banjo, mais j’ai écrit une chanson dès les dix premières minutes de prise en main de l’instrument.
Vos influences en général ?
David Eugene : Question paroles, je dirai que la Bible est ma principale influence. Et les gens qui chantent et écrivent en rapport avec la Bible également, comme Bob Dylan, Nick Cave, Leonard Cohen. J’aime aussi la musique des montagnes appalachiennes, des trucs vraiment hillbilly, du traditionnel américain. Il y a énormément de musique traditionnelle que nous aimons : du folklore hongrois, mongol. Mais j’écoute aussi Joy Division et Sonic Youth et tout ce qu’a fait Nick Cave. Ainsi que ses compatriotes australiens. J’aime aussi le classique, la musique de la Renaissance.
Jean-Yves : On écoute de tout. Tous les styles.
David Eugene : Y compris AC/DC et Motorhead.
Etre dans votre tour-bus doit être une expérience intéressante…
Jean-Yves (rires tous les deux) : Surtout lorsqu’on passe d’un truc mongol très mélodieux à Led Zeppelin.
Le groupe est à moitié français. Ca n’a jamais posé de problèmes au niveau de la communication, des références ?
David Eugene : Ca n’a jamais été un problème. La raison pour laquelle le groupe est né est parce que Jean-Yves et moi avions beaucoup de choses en commun, musicalement ou humainement. Je n’y ai jamais pensé, je n’ai jamais vu deux cultures séparées. Et puis Pascal et Jean-Yves vivent aux USA depuis 12 ans.
Pourquoi as-tu choisi les USA ?
Jean-Yves : C’est la musique qui m’a attiré aux USA. Et puis, je voulais élargir mes horizons. J’avais tâté le terrain en passant plusieurs fois du temps là-bas, la musique me plaisait tellement. Elle me servait de langage. Je me sentais vraiment chez moi. Au départ, c’était pas facile : je me sentais perdu, je me battais juste pour survivre et je sentais qu’il fallait que je m’accroche. C’était mon rêve depuis que j’étais gamin. Je savais qu’il fallait que j’y aille, je n’avais pas le choix.
David Eugene : Je suis heureux qu’il soit venu.
Ton thème de prédilection est la lutte du bien contre le mal ?
David Eugene : C’est plus qu’un sentiment fort. Cette lutte représente tout pour moi d’une certaine façon. Je crois en Dieu, au diable, en Jésus, et ça affecte ma vie entière, touche chaque instant de mon existence, chaque pensée. Je suis très content de cet état. Ca me permet de voir les choses différemment, de remarquer des détails, que, sans cette foi, je ne distinguerai pas. Je vois des luttes internes en moi qui ne m’occuperaient pas l’esprit autrement. C’est primordial à mes yeux. Mes opinions sont très différentes de celles des autres membres du groupe, mais elles sont fortement exprimées puisque j’écris les paroles. Nous ne sommes pas un groupe religieux, ou chrétien, cependant. Nous sommes juste des musiciens qui avons plaisir à nous retrouver et à jouer ensemble.
Justement, quelle est votre opinion sur le rock chrétien ?
David Eugene : C’est du business. Ok, nous sommes aussi dans l’industrie musicale, mais nous n’en faisons pas partie, dans le sens où nous ne cherchons pas à gagner absolument de l’argent. On en gagne en donnant des concerts ou en vendant des disques, mais c’est par nécessité. Je nous considère bons dans ce sens et d’autres partagent notre état d’esprit. Je ne peux pas qualifier le rock chrétien dans sa globalité comme nul, car certains musiciens de cette scène en font pour de bonnes raisons et y croient. Ils aiment leur musique et chantent ce qui compte pour eux. En même temps, ça reste du business.
Jean-Yves : C’est vraiment comme dans toutes les catégories : il y a du bon et le reste…
David Eugene : Maintenant, ce style est beaucoup plus répandu. Aux USA, le rock chrétien est là depuis longtemps, mais il est devenu plus populaire. Peut-être que le public a envie d’entendre ce que ces musiciens ont à dire. Ou la musique a changé et est plus agressive, plus moderne. Au départ, c’était du genre folk. Aujourd’hui, c’est devenu acceptable de jouer des trucs plus heavy ou plus pop. Si tu entendais certains d’entre eux, tu ne ferais pas la distinction avec Korn ou Limp Bizkit. Ils braillent autant ! Aussi longtemps qu’ils sont sincères et qu’ils n’utilisent pas ça comme un gimmick, ça va.
Et Marilyn Manson dans tout ça ?
David Eugene : Je n’ai pas trop d’avis à son sujet.
Jean-Yves : Il utilise toute une imagerie pour se faire de l’argent.
David Eugene : Ce que j’en vois me paraît idiot. Il y a des gens qui font des trucs flamboyants comme le glam rock, vraiment de qualité. Ce n’est pas le cas de Marilyn Manson. Je n’aime pas non plus l’emballage du groupe, le fait qu’ils cherchent à faire peur, à être des monstres simplement pour aucune autre raison que de provoquer ou attirer l’attention. Je suis sûr qu’ils te diraient qu’ils sont sincères… Enfin, s’il dit que c’est du jeu, c’est vrai dans un sens. Il est obligé de dire que c’est une comédie. Mais finalement, je le respecterai plus s’il ne se prenait pas à la légère et s’il ne présentait pas tout ça comme une simple farce. C’est totalement absurde.
On vous imagine proches de votre public. Vrai ou pas ?
Jean-Yves : Personnellement, j’essaie d’être le plus proche possible de lui, mais parfois c’est compliqué. Je parle à nos fans, je communique avec eux, je réponds aux questions par e-mail. Je fais en sorte qu’on donne aux fans autant d’infos sur le groupe que possible. Je leur montre ainsi combien j’apprécie leur présence.
David Eugene : On visite tant de villes, surtout en Europe, et les gens s’attendent, d’un concert à l’autre, à ce que nous retenions leurs prénoms. J’essaie… mais à Denver, où nous vivons, c’est bien plus simple. On les croise, on les rencontre, on traîne avec eux. Mais notre relation s’effectue par la musique surtout.
Il y a des rencontres bizarres ?
David Eugene : On collectionne les expériences bizarres avec nos fans. On attire beaucoup de gens… euh, décalés. C’est la nature de notre musique qui veut ça.
Jean-Yves : Ca ne nous gêne pas tant que ça…
David Eugene : La plupart du temps, nous créons de la musique pour des gens troublés. Et on les rencontre. C’est parfois effrayant, ou fatigant, mais tant pis. On se doit de les aimer, quels que soient leurs problèmes.
Propos recueillis par
Lire notre critique de Secret south de 16 Horsepower
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