Si Osama, il y a quelques semaines, portait ses origines comme une sorte d’argument promotionnel ranci (le premier film tourné dans le nouvel Afghanistan), Zaman se targue, quant à lui, d’être le dernier film tourné en Irak avant l’offensive américaine. Mais là où le premier étalait laborieusement une certaine richesse technique très world cinéma, histoire d’être plus facilement exportable, celui-ci relève du strict minimum technologique : son et filmage vidéo extrêmement pauvres, jeu aléatoire des acteurs. Il y a cependant ici une volonté de fiction, fut-elle rudimentaire, aux antipodes de la prétention au réalisme complètement tronquée, archi-dogmatique, du médiocre Osama.
Le film s’ouvre dans les marais du Sud irakien, où les eaux du Tigre et de l’Euphrate se mêlent à la terre. Dans son petit village, Zaman apprend que sa femme est malade. Seul traitement possible : un médicament devenu rare à cause de l’embargo. Zaman part donc vers la ville avec sa petite embarcation. L’immédiate volonté de s’inscrire dans un récit fait la force de ce film à l’étrangeté jamais forcée. Dès la première séquence rituelle de lever à l’aurore, quelque chose dépasse la simple volonté de constat : une volonté de bien faire, tant dans le jeu que dans le dévoilement des lieux, et surtout un calme, une harmonie que ne vient jamais perturber la pauvreté du filmage. Le long voyage de Zaman poursuit sur le même mode : découverte naïve de nouveaux espaces sociaux, appréhension immédiate des enjeux de la ville, sagesse de tous les instants. C’est que, à partir de rudiments de cinéma, la fiction naît ici d’un trait, comme une succession de fuseaux dont il s’agit de prendre la mesure pas à pas.
Vraie sagesse donc, qui permet d’ouvrir sur une authenticité peu commune. Jusque dans ses scènes les plus naïvement scénarisées (la recherche du médicament en plein Bagdad), le film tient la route, dévoilant tranquillement la pureté de ses procédés. Il y a là un mélange de fraîcheur et de maturité, de pointillisme et de nonchalance, qui permettent à Zaman de ne jamais s’appesantir plus qu’il ne faut sur les zones d’ombre qui pèsent sur lui : énième description d’un pays ravagé par la guerre, métaphore facile (la maladie de la femme, stigmate de la guerre), etc. Au contraire, tout cela prend corps en une étrange alchimie de légèreté de conte et de gravité sage, comme si l’important demeurait envers et contre tout l’avancée du récit et de la fiction. Petite leçon de cinéma que ce film improbable, au bord de l’amateurisme, miraculeusement parvenu jusqu’à nous, et qui nous sauve pour un instant des terribles récits folkloriques d’un Osama, d’une Mira Nair ou d’une Samira Makhmalbaf.