Avec un mot en trop dans son titre, Wrong Cops sonne comme un couac dans la filmo très musicale de Quentin Dupieux. Steak, Rubber, Wrong : la même intention et le même beat charpentaient les trois films précédents, et d’ailleurs on craignait un peu que le filmeur-DJ ne finisse par s’enfermer dans une boucle infernale. Un mouvement de plus dans cette longue partition de jeune sniffeur de colle autiste, et son étrangeté se serait sans doute mordu la queue (c’était le risque couru par Wrong). Mais par bonheur, comme l’indique son titre à deux termes, Wrong Cops devient binaire. Deux beats, deux forces s’affrontent. Et le leitmotiv lui-même (dans l’histoire, le tube techno et DIY d’un flic borgne campé par Eric Judor) est bâti sur une alternance de graves et d’aigus métalliques qui sonneront comme une agression en règle contre les mélomanes.
Un beat contre un autre, donc, c’est-à-dire : la fièvre hallucinatoire contre le rire simple et candide. Film à sketches sans fil rouge ni McGuffin digne de ce nom (à part un pactole trouvé dans un jardin de L.A., convoité par un ripou graveleux qui fait le lien entre chaque historiette), Wrong Cops se refuse à toute harmonie. Dans Rubber ou Wrong, Dupieux laissait toujours la folie planer à la même hauteur, malaxant l’inconscient collectif pour en faire émerger une Amérique de série B auscultée par un regard mi-amusé, mi-éberlué. Était-ce comique, était-ce arty ? Les films eux-mêmes semblaient hésiter, au risque parfois de rester sagement dans leur coin. Mais avec Wrong Cops, Dupieux se décomplexe totalement : assumant son squelette démantibulé, le film se disperse, s’engouffre ici dans la comédie potache, là dans une drôle d’épouvante freudienne. Le mélange est lourd, indigeste, mais c’est bien ce qui donne son génie à cet aberrant machin : l’étrangeté elle-même y est bipolaire, désaccordée, survolant une frontière floue entre rire et cauchemar. Et les acteurs eux-mêmes accusent cette dualité en se révélant chacun dans un entre-deux malade (surtout Ray Wise, expert en la matière, mais aussi Eric Wareheim du tandem fou Tim & Eric, à retrouver bientôt en interview ici-même). Le burlesque et l’horreur bis suscitent une fascination nauséeuse, finalement aussi agressive que la techno pondue par le personnage de notre Éric Judor national.
Agresser le sens commun, l’expédier au fond de la cuvette, c’est évidemment la spécialité de Dupieux depuis Steak. Wrong Cops ne renouvelle rien sur ce plan, mais va plus loin encore, fort de cette mixture rire / cauchemar dont chaque scène s’abreuve comme d’une potion magique. La transgression des enjeux narratifs habituels n’a plus rien du tour théorique : elle sert de simple postulat au film, lui permettant d’explorer en roue libre un Los Angeles crapoteux comme jamais. D’ailleurs, sur cette question du décor, Dupieux franchit aussi une nouvelle étape. Difficile de savoir si le bricoleur filme réellement L.A., ou s’il se contente de faire joujou avec l’imagerie du feuilleton à flics. C’est un peu des deux : les voitures-pies sillonnent la ville comme l’ont fait avant elles une foule de maîtres (Mann, Friedkin) ou de développeurs de chez Rockstar. Mais pour se faufiler dans ses boyaux les plus craspecs, jusqu’à esquisser une sorte de Short Cuts à hauteur de clochard. Tissant du neuf sur du déjà vu, Dupieux fait alors advenir un miracle : cette immense interzone pourtant déjà sublimée ou parodiée à l’envie redevient un no man’s land inconnu où, déguisé en flic à donuts, un « Ça » démoniaque semble faire la loi.