Après avoir porté très honorablement l’univers de James Ellroy à l’écran dans L.A. confidential, et ainsi redoré son blason juste à temps pour ne pas tomber en disgrâce, Curtis Hanson maintient le cap avec une adaptation réussie du roman de Michael Chabon, Wonder boys. Ce dernier, universitaire et romancier, est d’ailleurs crédité en tant que co-scénariste aux côtés de Steve Kloves -le réalisateur de Suzie et les baker boys. Personnage central de Wonder boys, Grady (Michael Douglas, grisonnant) est un professeur de littérature légèrement porté sur la marijuana, qui entretient une liaison dangereuse avec Sara (Frances McDormand), la femme du doyen de la fac. Depuis un gros succès littéraire, Grady pédale dans la semoule d’un deuxième roman toujours pas terminé. Terry, son éditeur homosexuel joué par un Robert Downey Jr. survolté, est d’ailleurs venu lui mettre la pression. Mais Grady a la tête ailleurs. Il s’intéresse de près au cas de James Leer, un de ses étudiants, exagérément torturé et plutôt doué de sa plume. Un jeune homme qui, par son humeur sombre, son talent et son intransigeance toutes juvéniles, ne peut le laisser insensible, au moment où il sent que sa vie et son travail lui échappent. Il s’avère pourtant bien incapable de jouer les mentors…
Si Wonder boys séduit et captive, c’est d’abord parce qu’il sait éviter les sentences sur les mystères de la création et de l’accomplissement de soi, principal piège tendu par le sujet et ses thèmes rebattus. A la place, il distille un humour noir, une ironie toute littéraire. C’est en quelque sorte Le Cercle des poètes disparus qui se réveillerait avec une bonne gueule de bois. La mise en scène de Curtis Hanson s’accommode à merveille d’un récit languissant, davantage soucieux de faire passer une humeur qu’un véritable « message ». Le bout de chemin que font ensemble ce quinquagénaire en panne et cet adolescent surdoué n’a rien non plus d’un Mort à Venise : nulle fascination pour la beauté ou pour le génie, mais une chaleur humaine, un échange décontracté dans lequel les personnages oublient un temps leur solitude et leurs idées noires. Les acteurs, intelligemment dirigés, déploient un jeu tout en souplesse : Michael Douglas dans le rôle du prof embrumé livre une composition inattendue et réussie et Tobey Maguire, jouant aussi bien de son physique de poupon que de son regard de poète, prouve l’étendue de son talent. Loin des pensums psychologiques et de leur moralisme lacrymal, Wonder boys est une ballade tamisée et mélancolique, qui revendique une certaine roublardise. Faussement négligé et cultivant jusqu’à l’affectation son côté fumiste, il agacera sûrement autant qu’il séduira. C’est tout le bien qu’on lui souhaite.