On a oublié à quel point le corps doit peser dans un film d’action. Trop de super-héros ont quitté l’humain, trop supers en somme, leurs corps dilués dans l’ivresse numérique. Légèreté, vitesse, ont pu nous griser assez longtemps pour ça. Mais une lassitude a créé un besoin nouveau : retrouver le corps, sa pesanteur salutaire lorsqu’il n’est jamais autre chose que l’enjeu ultime de tout film qui voudrait le voir dépasser sa condition, tout film d’action, donc. Car le film d’action ne fait que ça, ne doit jamais faire que ça : inscrire un corps et ses possibilités dans un lieu : commun la plupart du temps, où l’ordinaire est dévoyé, et le corps, par ses prouesses, révélé tantôt dans sa puissance, aussi bien dans sa faiblesse. C’est donc cela qui manquait : un corps qui ferait jouer sa pesanteur contre la vitesse, qui trouverait une consistance inédite dans la 3D.
C’est chose faite avec ce nouveau Wolverine, qui a une intelligence réelle du procédé et s’impose très vite comme un très beau film d’action plutôt contemplatif, capable de s’attarder sur les peaux, comme si l’effet 3D ne donnait plus l’impression d’une image qui voudrait s’excéder elle-même, au contraire : elle nous invite à l’intérieur, offre au regard son intime promiscuité. C’est une joie simple que de retrouver ainsi la proximité des corps par leurs peaux quand tout semble au contraire les éloigner dans le flux permanent des effets numériques. Il ne s’agit pas à proprement parler de les désirer, plutôt de les contempler avec le sentiment permanent qu’un acteur, une actrice, ont repris corps dans le flux du film.
James Mangold reprend quand à lui le personnage à la base, le personnage et l’acteur, tout en poils, incarné : comme figé dans son rôle, icône et homme, homme ou animal : ainsi ce plan, qui le fait randonner en parallèle avec un ours brun dans la montagne, lequel marche tranquillement à ses côtés, en frère d’occasion. Une même lenteur sereine surprend à plusieurs reprises, une façon de s’arrêter souvent pour respirer un peu, et donner à ce nouvel opus une nonchalance bienvenue, qui tranche avec la vitesse à tout crin commune à trop de productions Marvel depuis ces derniers temps. Cela paraît évident, mais à toute mise en scène, le temps est nécessaire ; le temps de voir surtout. Une scène en particulier est le théâtre de cette évidence perdue. En fait de lieu commun, c’est un moyen de transport : un train. Machine cinématographique par excellence (Welles, Hitchcock), qui devient ici le lieu d’une nouvelle implication du corps dans le numérique, où la pesanteur s’affronte à la vitesse, malgré les fonds verts. Wolverine y doit se battre (sur le toit) contre autant de seconds couteaux (suffisamment affutés) fusant dans le vent furieux avec la même célérité que les lames dont il se sert pour retenir sa force avant de la laisser aller. Mangold y trouve la dialectique idéale, une manière de faire jouer en même temps plusieurs vitesses, le poids du corps contre l’action débridée : les meilleurs films du genre sont ceux qui vont ainsi contre leur nature, aiment la lenteur qui les empêche et font de cet empêchement l’enjeu de leur mise en scène. Parce que le récit met ce poids dans les corps (qui a pour nom « passé », dont il est fait grand cas ici, à travers la fatigue de Wolverine), parce que quelque chose chaque fois advient au lieu de survenir, le genre s’en trouve tout d’un coup porteur de sens. Il y a eu des films avant, il y en aura après, mais celui-là trouve alors sa juste place. Grande et belle idée que de faire d’un héros récurrent le personnage d’un seul film, finalement.