Windtalkers est annoncé comme le film le plus personnel de John Woo, slogan bateau qui, pour une fois, s’avère totalement justifié. Le film épouse sans arrière-pensées les canons hollywoodiens tout en les trompant avec sa vieille maîtresse (le style Woo), là encore sans mauvaise conscience ou tentative de duperie. Cet adultère, c’est l’histoire de John Woo lui-même, cinéaste en exil. Mieux, Windtalkers a tout de l’autobiographie déguisée, redoublant cet effet de miroir entre le réalisateur et son film, puisqu’il traite des déplacements de codes d’une culture à une autre. Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’armée américaine décide de recruter des Indiens Navajos dont la langue complexe est susceptible de faire office de code indéchiffrable par l’ennemi japonais. Dans la bataille du Pacifique, deux d’entre eux sont accompagnés chacun par un ange gardien chargé de les protéger mais aussi, le cas échéant, de les tuer avant que les Japonais ne leur mette la main dessus. L’Indien, bien entendu, c’est John Woo lui-même : détenteur d’un langage secret, obligé de faire corps avec un système qu’il apprend à connaître. Avec une belle élégance triste, Woo pointe les paradoxes de la culture et de l’acculturation, non pas en tant que phénomènes enregistrables, vérifiables, mais en tant que sensations vécues de l’intérieur : les deux Américains pur jus (Nicolas Cage, born to be G.I.) chargés de préserver coûte que coûte un héritage -la langue navajo- d’une culture que la leur a violemment supplantée ; les deux Indiens qui, à travers leur différence, renvoient sans cesse l’Amérique à elle-même, lui enjoignent de se regarder et de se comprendre comme pays intégrateur par la force.
Windtalkers est d’un classicisme inébranlable, certes pas toujours heureux dans sa construction, mais identifiable par tous ; en même temps, il est troué par des codes venus d’ailleurs, du Navajo-Woo dans le texte, indéchiffrables de prime abord. Le film tire sa force et sa beauté de cet agencement paradoxal et en même temps suscite le malaise à mesure que s’empilent les scènes d’action. Parce qu’un corps étranger, lorsqu’il est implanté dans un organisme inconnu, ne peut que s’y mouvoir difficilement, le spectacle d’un genre strictement américain filmé par un exilé relève de l’acrobatie. Après l’effort, les courbatures sont là : difficulté à faire cohabiter deux idéaux (le chevalier hong-kongais / le héros yankee), deux gestuelles (Nicolas Cage en fantasme d’un Chow Yun-fat déprimant et râleur), deux lyrismes (la sérénité grave des rituels navajos / l’agressivité du GI se jetant à corps perdu dans la bataille). Beau film endolori sur le code, Windtalkers conserve sa part d’indéchiffrable.