On ne va pas se mentir, on n’attendait évidemment rien du retour de Michael Moore aux affaires. L’Oprah Winfrey du documentaire militant semble devoir ne jamais se remettre de son improbable Palme d’or en 2004 pour Fahrenheit 9/11, consécration en forme de canular dont il fut la première victime en s’imaginant être devenu: 1-un grand documentariste engagé ; 2-un grand cinéaste tout court.
Si Where to invade next se présente sous la forme habituelle d’un portrait à charge contre la mère patrie, le film use en revanche d’une nouvelle astuce : lassé d’être l’ennemi public numéro 1 de l’administration américaine, Moore décide d’offrir ses services à l’Oncle Sam afin d’aller détrousser l’Europe de ses plus beaux brevets démocratiques (congés payés, université gratuite, etc). Peu importe que ce pitch de mauvais tv show ne fonctionne pour ainsi dire jamais, c’est l’occasion pour Moore de balader sa dégaine de bisounours Yankee en France, en Italie, au Danemark, etc., selon un rituel unique consistant à interroger in situ quelques autochtones sur leurs coutumes sociales, puis à mimer l’effarement à chaque découverte – « Vous voulez dire qu’ici, il n’existe aucun frais de scolarité, même pour les étrangers ? Are you kidding ? »
Une sorte d’Eurovision de l’État-providence, où chaque nation du Vieux Monde vient parader en montrant son plus beau profil, mais derrière lequel s’étale toute la lourdeur démagogique du réalisateur de Bowling for Columbine. Car au-delà du procédé spécieux et de sa dialectique niveau TPE (montrer le pire d’un pays, le meilleur d’un autre, froncer les sourcils devant ce grand écart), Where to invade next accable surtout par la ringardise affligeante de son dispositif formel, égaré entre un clip de campagne UMP et un docu complotiste.
On a en effet du mal à imaginer quel public se laissera convaincre par ce road trip fantasmé à travers l’Europe welfare, parfois aussi édifiant que les pérégrinations de Kim Jong-un en Corée du Nord. Il faut voir ce passage, en France, où le cinéaste déambule entre les tables d’une cantine scolaire en se laissant convaincre que, chez nous, chaque enfant de maternelle se fait servir à l’heure du déjeuner d’impeccables noix de Saint-Jacques à la crème.
Heureusement, Citizen Moore n’est pas complètement dupe de ses méthodes, et le prouve. D’abord, en opposant à ceux qui lui reprocheraient sa crédulité sur les sociétés européennes une jolie formule poétique (« Je suis là pour cueillir les fleurs, pas les orties », ça roule). Ensuite, en refusant d’être jusqu’au bout confit dans la débilité de son postulat : à travers une lénifiante pirouette finale, le film rappelle ainsi que l’Amérique a, en vérité, à peu près tout inventé, qu’elle a été un modèle pour toutes les sociétés progressistes et qu’il lui suffit donc de s’inspirer d’elle-même pour se redresser. Ah ouais, et les Saint-Jacques alors ?