« Ce n’est pas le feel good movie de l’année », prévient Larry David, face caméra façon stand-up, dans les premières bobines de Whatever works. Le co-auteur de Seinfeld et créateur-interprête de Larry et son nombril, joue ici un vieux physicien misanthrope, allenien en diable, qui vit reclus et confis dans sa bile depuis qu’il a raté, coup sur coup, mariage, Prix Nobel, suicide. Débarque Melody, ravissante idiote hillbilly qui, cherchant refuge, s’invite chez lui, bousculant dans une tornade de candeur les habitudes du vieil acariâtre. La sauce prend, la baderne et l’oisillon s’entendent bien, finissent mariés. Débarquent à leur tour les parents de Melody. La mère, bourgeoise born again qui n’a jamais quitté son Sud natal, finira artiste bohème et partouzarde, icône du Village, tandis que le père, WASP falot, virera sa cuti.
Retour à New York, après quatre ans d’exil, pour la livraison annuelle de Woody Allen. Petit événement, donc, et une question : revenu de son escapade européenne, dont le bilan est plutôt bon (Match Point et surtout le formidable Rêve de Cassandre, ainsi qu’une moitié de Vicky Cristina Barcelona), Woody a-t-il ramené dans ses valises de quoi redécorer ses pénates ? À première vue, pas vraiment. Whatever works semble reprendre les choses là où les laissait le plutôt bon Anything else, avant-dernier film new-yorkais au titre voisin (laissons de côté le boiteux Melinda et Melinda). Retour à un décor, des situations, un rythme connu, avec une forme relativement bonne, sans plus (le film peine un peu à démarrer, l’écriture est un peu paresseuse, c’est, selon les barêmes, un « petit » Woody Allen).
Pourtant deux choses, au moins, tranchent dans cette impression de déjà-vu, et intéressent. D’abord l’espèce d’effet de doublure, assez bizarre, qui prévaut avec le choix que fait Allen de déléguer à Larry David un rôle qui, de toute évidence, n’appartenait qu’à lui. Double effet de transparence : Woody parle à travers Larry qui parle à travers le misanthrope. Bien sûr il y a là, probablement, une manière d’affirmer un héritage, une descendance naturelle entre le sachem de l’humour juif new-yorkais et son cadet de dix ans. Mais on dirait surtout que, déléguant l’incarnation, Allen s’autorise à creuser plus loin une espèce de noirceur radicale et volontiers malaisante, débordant sans cesse le cadre comique et culminant ici dans une scène aberrante et brutale, une tentative de suicide traitée en gag glaçant. Et en même temps, c’est une noirceur qui se conjugue avec une espèce d’envers libertaire et gai (le dernier mouvement, sorte de réconciliation communautaire et hédoniste) tout aussi surprenant. En cela, il y a quelque chose ici d’une synthèse, sur un mode mineur, des deux voies creusées de Londres à Barcelone (de Match Point à Vicky Cristina Barcelona). Et la continuation d’une question (disons, pour faire vite, celle du cynisme et des conditions du bonheur) vers quoi se ramasse désormais toute l’œuvre. Les deux voies, d’ailleurs, tiennent ici, côte à côte, dans le titre, ce « whatever works » dont il s’agit, d’un bout à l’autre du film, de corriger le sens – d’une aigreur à un principe de plaisir. Whatever Works, film de doublure, film double, petit Woody Allen tout ce qu’il y a de plus aimable.