Un foyer dans la banlieue tranquille d’Indianapolis, une femme agoraphobe d’âge mûr, son mari maussade mais attaché à la vie. Le couple porte toujours le deuil d’une fille unique, depuis un accident survenu quelques longues années plus tôt. Tandis qu’elle se terre au salon comme à l’accoutumée, lui part en voyage d’affaires à la Nouvelle-Orléans et décide de ne pas rentrer : sa paternité frustrée l’a poussé à prendre sous son aile une jeune fille de mauvaise vie rencontrée dans un bar à strip-tease. Un tel pitch a de quoi dissuader. Encore un film sur les errances de l’Occidental contemporain, à qui une rencontre fortuite va offrir de rompre un quotidien étriqué et de soigner un malaise existentiel ?
Oui et non. Réalisé par un Britannique mais écrit et produit aux Etats-Unis, Welcome to the Rileys appartient effectivement à cette vague de drames américains désabusés et calibrés pour Sundance. Il y est donc question d’une petite bourgeoisie, d’une ville-dortoir, de sa réalité sociale mécanique, mais aussi de ses ponts avec les minorités des bas-fonds ou l’Amérique white trash. Ces dix dernières années, on a beaucoup exploré ces différents milieux, sous toutes leurs coutures et de toutes les manières : d’American beauty à The Wrestler, en passant par les films de Todd Solondz, la grisaille des banlieues yankee – riches ou pauvres – finit par sembler curieusement familière. De ce point de vue, cette triste escapade du Nord au Sud louisianais (Katrina aura décidément inspiré les scénaristes indépendants) n’élargit pas vraiment les horizons découverts par le cinéma récent, et ses personnages obéissent à des modèles assez usés. Considérés séparément, les membres du présent trio rappellent des modèles vieux comme le monde, et ressemblent fort aux fantômes qui hantent les zones obscures du rêve américain – l’orpheline paumée, la ménagère sclérosée, le business man rongé par la nostalgie, etc.
L’intelligence du scénario, toutefois, réside dans sa manière de faire interagir ces archétypes. Au lieu d’examiner pour la énième fois une structure sociale déjà en place, et de passer au crible les ombres au tableau de famille, le film suggère une union en puissance, un groupe appelé à se constituer – et dont on sait d’emblée que la dissolution est inévitable. De sorte que le conte de fée redouté est démenti, puis définitivement étouffé par le problème de fond, qui concerne la duperie des désirs fantasques. Quand Lois, la mère endeuillée, se fait violence pour rejoindre son mari et sa sulfureuse protégée, la famille vainement recomposée évolue dans les bas quartiers de la Nouvelle Orléans, occupant le bouge délabré qui sert de cachette à la jeune stripeuse. Arrive alors le temps des illusions perdues : celle de pouvoir réinventer la structure familiale, de forcer l’amour filial, ou encore d’importer un certain passé, une certaine Amérique, dans un contexte irrévocablement endommagé et tragiquement inadéquat.
Plutôt que de se complaire dans les constats pessimistes, le film décrit le chemin de la résignation pour mieux entrouvrir celui de la raison retrouvée. Si au bout du compte, la leçon de vie n’est pas révolutionnaire, la vie du trio réussit à être touchante tout en évitant les bons sentiments. Et ce grâce, surtout, à la crédibilité de ce couple coincé entre deux âges, deux villes et deux temps : dans un registre inédit pour lui, l’immense James Gandolfini porte admirablement, à tour de bras, le deuil, l’ennui et l’espoir. L’épaisseur de sa carcasse répond à celle des traumas d’une vie déçue, mais droite et déterminée. Rachitique à ses côtés, Melissa Leo touche dans son rôle d’épouse éreintée, subitement reconquise par la vie. Jake Scott les filme sobrement, sa mise en scène est à la fois discrète et percutante, et c’est d’ailleurs assez surprenant : héritier de l’écurie Scott – il est le fils de Ridley – cet ancien clippeur pour REM ou Smashing Pumpkins est directement issu d’une lignée d’imagiers obsédés (pour le pire et pour le meilleur) par l’orfèvrerie graphique. Pourtant, sans esbroufe ni fioritures déplacées, l’Anglais mise avant tout sur la direction d’acteurs et le montage, avec une inspiration notable. Une bonne raison de ne pas bouder cette fable très moderne, peu ambitieuse, mais construite avec justesse et lucidité.