We need to talk about Kevin est de ces films dont les prétentions placardées à la massue sont plus visibles que le récit lui-même. Si Lynne Ramsay, petite fierté du cinéma chic et choc d’Outre-Manche, se réclame d’un prédécesseur de luxe, c’est sans doute de Polanski. Sans donner dans le surnaturel, elle lorgne sur son aptitude à débusquer l’horreur un peu partout, dans les ambiances calfeutrées d’un appartement parisien ou londonien, sous les inoffensifs tapis d’un mobilier bourgeois. Mais la villa cossue où se joue le présent drame, avec ses intérieurs jours trop lumineux pour être tranquilles, rivalise piteusement avec les F3 anxiogènes de Polanski. Même si son héroïne prolonge quelque part le destin de Rosemary (puisqu’après avoir accouché du diable, ou du moins d’un sérieux candidat à la damnation, elle s’échine à l’élever vaille que vaille), impossible de la suivre dans les abysses de la terreur sans traîner un peu des pieds. Le pari de Ramsay est pourtant passionnant : filmer tout ce qu’il y a d’impossible dans la maternité, et qui se réalise pourtant, c’est-à-dire l’amour teinté de haine, la peur de sa propre engeance, la culpabilité d’avoir enfanté le mal personnifié – et l’acharnement misérable à croire tout de même en sa rémission. Malgré la profondeur psychologique promise, qui s’offre en même temps comme argument d’épouvante, persiste l’indéfectible sentiment d’assister à une visite guidée à travers les arcanes de l’angoisse maternelle.
La faute sans doute aux moyens mobilisés par Ramsay pour arriver à ses fins. D’un bout à l’autre, le film tente d’agripper la main de son spectateur pour orienter ses constats et réguler son malaise, usant d’un découpage ô combien explicatif : gros plans sur des cachetons qui dégringolent pour caractériser l’héroïne, flash-backs et cauchemars pour illustrer les inquiétudes du présent, gros plans sur sa bouche pour « donner de la chair » au portrait de Kevin, graine de psychopathe. Dans la catégorie des allusions fâcheuses, outre quelques détails superflus (notre maman Eva, qui porte un nom arménien compliqué, se fait parfois appeler « Mrs. K » – trait kafkaïen pour signaler son destin écrasant, bien vu l’aveugle), on s’indignera surtout face à la symbolique des couleurs quasi-insultante que la mise en scène tente de faire avaler, en truffant l’intrigue et le cadre de coulées rougeâtres. Sang, peinture et confiture s’alternent effectivement pour matérialiser un trauma déjà bien ancré, ou alors pour appeler une métaphore psychologisante du placenta maudit, qui sait.
Si John C. Reilly, qu’on avait déjà vu en découdre avec une progéniture à problèmes dans le plus léger Cyrus, se contente ici du second rôle bankable, le reste du casting sauve toutefois quelques meubles. Tilda Swinton et Ezra Miller, mère et fils reptiliens, parviennent au moins à faire poindre l’effroi qu’inspire leur relation au dénouement tragique (et un peu négligemment annoncé d’emblée, le mystère portant moins sur l’aboutissement de la folie que sur ses moyens pour exploser). Lorsque le cordon est enfin sectionné à la toute fin, ces deux-là réussissent pour une poignée de secondes à suggérer un lien entre le giron maternel et le maléfice. C’est d’ailleurs en creusant ce rapport fou que le film aurait pu se rendre moins prévisible, et que le dialogue promis au sujet de Kevin aurait pu véritablement s’engager.