« Wassup rockers » est la question au moins moqueuse, sinon agressive, que ne manquent pas d’entendre une bande de latinos portant jeans plus que moulants, skaters acharnés, fans des Ramones et musiciens de punk rock eux-mêmes. Jonathan, Kiko, Spermball et les autres habitent à South Central, Los Angeles, quartier pauvre où ne vivent que des Noirs et des Latinos, et où se déroulèrent des émeutes très violentes dans les années 90. Wassup rockers, cinquième long-métrage de Larry Clark, est à nouveau un portrait de groupe, mais en mouvement, qui suit toute une journée durant ces adolescents. C’est encore la mort d’un enfant qui, à l’image du suicide inaugural de Ken Park, ouvre le film. Précisons : par ce meurtre-un enfant est abattu en pleine rue par des tueurs en voiture- débute une fiction, mais il n’y aura pour ainsi dire aucune incidence. Les premiers plans de Wassup rockers sont en fait hors film : c’est un essai, comme on en ferait pour un casting. Jonathan, 14 ans, torse nu sur son lit raconte quelques trucs en se grattant, ne sait pas bien quoi dire, sinon l’histoire de son copain Milton, et pourquoi on le surnomme Spermball. Cette séquence introductive dit bien où en est aujourd’hui le cinéma de Larry Clark : un équilibre entre portrait posé et narration en mouvement, toujours travaillé en ses bords par le documentaire.
Wassup rockers les suit pendant une journée, alors qu’ils font des kilomètres pour faire du skate, quelle idée, à Beverly Hills quartier riche et blanc. Il y a chez Larry Clark un goût évident pour la narration -ce n’est pas un hasard s’il s’est frotté par deux fois au cinéma de genre avec Another day in paradise et Teenage caveman-, mais il est d’ordinaire comme enfoui sous les impératifs du portrait croisé. Ici, il se donne à sa pleine mesure, le film étant construit comme un jeu de plateau : coursés par un flic qui leur signifie qu’ils sont indésirables en ces lieux, puis par deux blondinets jaloux de leur succès auprès de leurs girlfriends, les gosses passent de jardins de villa en jardins de villa, dans ce quartier sans rue habité par des nantis pour qui Larry Clark n’a visiblement aucune affection. Un à un, jardin après jardin, les rockers disparaissent.
Wassup rockers agit encore selon les vertus du cinéma de Larry Clark, regard net sur l’enfance et la mort. Mais il paraît aussi teinté d’une plus grande douceur qu’à l’ordinaire. S’il s’ouvre par la mort, bientôt quelque chose de vital vient lui disputer le droit de jeter une ombre sur South Central, ses rues, les skaters qui au petit matin un à un y sortent, formant une procession à roulettes. Elégie ou pavane pour l’enfance défunte, le cinéma de Larry Clark semble avoir trouvé avec cette bande-là une respiration tranquille, plus légère. Et si la journée se termine sans que tous rentrent à la maison, si l’Amérique WASP, fashion, facho ou ivre de sa richesse et de ses apparences, ils ne l’auront jamais vraiment croisé, au moins sur un lit Kiko et la petite fille riche se sont parlés et regardés, grande scène, comme deux adolescents.