Belle initiative des éditions La Vie est belle, qui sortent les deux premières oeuvres de deux des auteurs de cette « Nouvelle nouvelle vague allemande », Henner Winckler (Voyage scolaire, Lucy) et Christoph Hochhäusler (Le Bois lacté, L’Imposteur). On sait la difficulté qu’il y a à passer du premier au deuxième film : creuser son univers d’origine, le dépasser ou au contraire déjà ressasser ses obsessions naissantes, autant d’examens de passage. Tout ce qui au départ constituait la part la plus inconsciente d’un univers risque, une fois amené à la conscience par les vertus du premier film, de perdre chair en ne laissant qu’un squelette étique. Ce passage n’est au fond rien d’autre qu’une entreprise de digestion, laquelle on le sait ne va pas toujours de soi.
Deux auteurs donc, et pour l’instant deux hypothèses contrastées. Du très beau Voyage scolaire à Lucy, quelque chose s’est un peu perdu, sans pour autant qu’il faille tirer une conclusion définitive sur Henner Winckler qui à l’évidence possède un regard acéré sur les émois et les contradictions de ses jeunes héros. Il y a une manière bien particulière, chez Winckler, de filmer la relative cruauté des situations avec une sorte de douceur neutre, sans l’âpreté qui fit les riches heures du néoréalisme (avec son lot d’extrême pauvreté) mais en créant au contraire une sorte d’espace cotonneux qui pourrait être celle d’une petite bourgeoisie paupérisée. Ces zones de flou, qu’elles soient sentimentales ou sociales travaillent manifestement le réalisateur – zones qui dans Voyage scolaire se rencontraient subtilement dans la frontière qui sépare l’Allemagne de la Pologne, les lycéens des jeunes travailleurs, l’inexpérience sentimentale de l’expérience. Mais autant Voyage scolaire dépasse l’anecdote de départ pour s’engouffrer souterrainement dans des questionnements plus vastes (l’Europe, les rapports de domination, la question de l’autre), autant Lucy suit les rails d’un réalisme purement descriptif qui finit par ne livrer rien d’autre que ce qu’on voit sur l’écran. La neutralité douce de ce réalisme perd un peu son contrepoint angoissant, cette idée que le réel peut à tout instant devenir un enfer muet et inodore, et qui rendait Voyage scolaire singulier.
Tout autre est le cas Hochhäusler dont la manière, d’emblée, consiste à tordre le réalisme de l’image en y injectant le sentiment du fantastique. Il y a du Resnais dans cette manière de procéder, une façon de vouloir échapper à la grisaille généralisée du monde par l’adjonction de formes hétérogènes : la musique expressionniste et le conte Hansel et Gretel dans Le Bois lacté, les échappées fantasmatiques du héros dans L’Imposteur). Hochhäusler creuse en évitant soigneusement la répétition du même, et comme Winckler recentre son cinéma sur l’Allemagne elle-même après avoir métaphorisé, dans Le Bois lacté, la question européenne et celle de l’autre (si proche, si loin), à la faveur là aussi d’un va-et-vient entre son pays d’origine et la Pologne. Du premier film au suivant le cinéaste n’a rien laissé fuir et a même humanisé ce qui dans Le Bois lacté pouvait apparaître comme une violence sèche du trait (notamment chez les acteurs qui tous jouaient une partition inquiétante et quelque peu robotisée). Mais il a peut-être perdu au passage une forme d’ambiguïté du sens. L’Imposteur, à l’exception des visions fantasmatiques dont on ne saurait identifier la véracité ou la nature simplement illusoire, pèche sans doute par un excès de lisibilité : totalitarisme de la cellule familiale et son obligation de se conformer aux usages sociaux et financiers pour exister, peur manique de l’avenir, etc. Il ne fait aucun doute pourtant qu’on tient là deux auteurs prometteurs qui pourraient bien atteindre, avec leur prochain film, le brio de leur aînés Angela Schanelec (Marseille) ou Christian Petzold (Contrôle d’identité).