L’air de rien, Volt vient mettre un terme à l’implacable essoufflement qui mine depuis bientôt dix ans la branche animée de Disney. Longtemps, son partenariat avec Pixar lui a servi de cache-misère, l’apposition de son logo de pis-aller, alors que ses propres dessins animés, les autoproclamés « classiques » de la maison-mère, croulaient sous un character-design erratique, des scripts vert-de-gris et une production au radar (avec l’improbable Atlantide en figure de proue). Mais le renflouement de 2006 a changé la donne. Après quelques passes d’armes sonnantes et trébuchantes, Pixar a réussi une OPA déguisée sur Disney, se laissant racheter pour quelques milliards pour mieux prendre le contrôle des opérations : pendant que l’actionnaire principal (Steve Jobs) entrait au conseil d’administration de la firme, son directeur artistique (John Lasseter) était propulsé à la tête du département animation. Au sommet du noyau historique. Une nouvelle ère s’annonce pour Mickey : Volt est son premier héraut.
A Hollywood, Volt est une star de la télé, un super-chien mi-Rintintin mi-X-Men qui protège sa maîtresse Penny d’abominables malfaiteurs. Sauf qu’il est convaincu de posséder de vrais pouvoirs et de sauver régulièrement l’humanité des griffes du mal. Expédié par erreur à New-York, le cabot va devoir affronter un ennemi qui lui est encore inconnu : le monde réel. C’est l’impression de tenue qui frappe d’abord, ce sentiment, enfin, d’un capitaine à la barre du navire. Le boss Lasseter ? Les réalisateurs Chris Williams et Byron Howard ? Qu’importe. Aucun génie ici, aucune fulgurance, juste l’agencement habile d’un pur produit artisanal, une conception de l’animation comme pur fluide narratif. C’est un vrai plaisir que de se couler dans la structure road-moviesque du film, de se laisser porter par ses ficelles initiatiques et tendues juste ce qu’il faut. Programmatique ? C’est sa force. Sa limite aussi. Volt est à l’image de son sidekick en chef, Rhino, un hamster coincé dans une boule en plastoc : à force de trait gracieux et rondouillard, d’ironie savamment dosée, de morale bien distillée, il dégage la finitude des œuvres inoffensives, comme si tout était borné, clôturé, circonscrit à quelques à-plats de pastel et un enrobage doucereux. Ni hors-champ, mystère ou ailleurs, rien ne préexiste au film ou ne l’interloque. L’influence esthétique de Edward Hopper joue les figurants, l’argumentaire postmoderne n’excède pas la narration, l’abîme existentiel ne s’ouvre jamais vraiment, etc. Tout est là, vibrionnant, mais bien rivé dans les clous.
Une tendance au ripolinage qui ne doit pas occulter le petit tour de force du film. Non seulement le premier DA de l’ère Lasseter entre de plain-pied au patrimoine Disney – égrugeant au passage ses récents prédécesseurs – mais son usage raisonné de la technologie 3D devrait faire date. Et sans doute quelques émules. Littéralement noyée dans le flux, la stéréoscopie n’y vampirise plus son médium (doxa de luna-park), elle le sert de l’intérieur, en sourdine, accroît la profondeur de champ ici, décuple l’impact d’une scène là, avec une logique d’hyper-perception invisible et valable dans les money-shots comme dans les scènes d’intérieur. Dans l’attente que des cinéastes de renom (sur les rangs, Spielberg, Cameron, Pete Doctor) s’emparent de ce puissant et nouvel outil narratif, Volt s’affirme comme la première réponse cinématographique aux belles promesses formulées par Beowulf et autres essuyeurs de plâtre. Il était temps.