Passés les débuts sympatoches de la période Bronzés / Viens chez moi j’habite chez une copine, Patrice Leconte a fini par devenir, dès les années 90, le symbole d’un certain académisme franco-français. Entre beauferie bienheureuse (le point de non-retour des Bronzés 3) et néo-Qualité Française (Ridicule, Rue des plaisirs, La Fille sur le pont, La Veuve de Saint-Pierre…), le cinéma selon Leconte se résume pour l’essentiel à des castings hexagonaux 100 % bankable, ficelés dans des récits prétextes à la maigreur revendiquée. Ce qui en ferait une sorte de cousin centriste de Lelouch et Deville, que ses quelques gardes-fous préserveraient in extremis du virage dangereusement freestyle du premier, et, par une certaine indifférence à la signature, du côté petit théâtre bourgeois du second.
Voir la mer revendique le retour à une forme plus libre, et une échappée au moins provisoire des contraintes « populaires » qu’il s’était imposé depuis une bonne quinzaine d’années. Renouant avec la veine plus sensualiste de son cinéma (Le Mari de la coiffeuse, Le Parfum d’Yvonne), Leconte parvient à imposer cette fois quelques scènes regardables : un suspense a minima, lors de la fuite en voiture des deux frères tenant lieu de héros et de la jolie blonde qui les accompagne ; une scène d’amour très sensuelle, où est filmé avec une certaine adresse l’apprivoisement timide des corps ; le virage assez réussi d’une triste nouvelle annoncée aux frères, alors que le film s’installait dans une vacance plutôt plaisante… Pris dans ses détails, Voir la mer se révèle donc un film moins paresseux qu’attendu. Reste qu’en dépit de ses maigres qualités, l’impression persiste, jusqu’au bout de ce road movie « de chez nous », d’avoir affaire à une étrange forme de réclame étirée, un spot publicitaire qui prendrait tout son temps.
La faute au casting, à Pauline Lefèvre, l’ex miss météo du Grand journal ? Honnêtement, non. Sans être une franche révélation, elle a au moins le mérite de faire profil bas, y compris quand Leconte surligne un peu trop les contours de son personnage d’idéal féminin (entre langueur érotique à la Bardot et espièglerie à la Audrey Hepburn). La faute, alors, aux deux frangins un peu gagas joués par Clément Sibony et Nicolas Giraud ? Pas plus. Disons seulement que, tout en aérant un cinéma qui en avait bien besoin, Voir la mer reste l’œuvre d’un cinéaste clairement mal à l’aise avec l’excès d’espace, la disponibilité des personnages, la possibilité du vide. Leconte ne sera jamais le Blier des seventies, encore moins le trop rare Stévenin. Affaire d’époque, mais pas seulement : Voir la mer est bien loin de l’irrévérence libertaire des Valseuses ou Préparez vos mouchoirs, ses personnages ne sont pas, comme ceux du sublime Mischka, prédisposés au nomadisme et à l’adaptation de circonstance.
Tout le film est comme embarqué dans un mouvement de pure surface, ses images semblant être davantage le fruit d’un encanaillement balisé (typique : le personnage faussement border line de l’ex) que d’un vrai lâcher prise. Ici encore, l’auteur de Tandem ne joue la partie qu’à moitié, délaissant le cahier des charges de la néo-Qualité Française pour la forme (soigneusement lâche, toute de travellings filés). La fin du film, qui justement n’en finit pas, ramène alors ce cinéma à sa foncière inquiétude de la perte de vue, sa hantise de ne pas conclure. Dans ce macadam, une seule voie : celle du clap de fin, visible comme jamais.