Documentaire ? Fiction ? Difficile de cerner précisément la démarche à l’œuvre dans le nouveau film d’Alain Cavalier tant celui-ci flirte avec l’un et l’autre. Composé de quatre chapitres, chacun consacré à un ami de l’auteur, Vies vaut surtout pour l’expérience humaine à la base de sa conception.
Il s’agit moins de faire un film que de rendre un discret hommage à des existences que le cinéaste souhaite nous dévoiler. Comme si Alain Cavalier nous invitait à faire la connaissance de quelques-uns de ses proches par le biais de leur passion, leur métier ou leur expérience. Sans attention particulière pour la lumière ou le cadre, le cinéaste utilise surtout sa petite caméra DV pour son extrême maniabilité et la liberté de mouvement qu’elle lui procure. C’est grâce à elle qu’il peut suivre son ami chirurgien pendant que celui-ci enchaîne les opérations de la cataracte lors de son dernier jour en exercice. Alain Cavalier trouve la bonne distance pour capter les gestes précis de celui qui manie le scalpel sans occulter pour autant l’ambiance qui règne au sein du bloc opératoire. Dans chaque épisode, le cinéaste filme ses amis avec une instantanéité qui confère une valeur quasi ontologique à ces tentatives de portraits en mouvement. Armé de sa DV, il se présente par exemple à la porte de Jean-Louis Faure et entame tout de go une exploration minutieuse des détails qui composent le quotidien et l’art du sculpteur.
Si, dans les premiers épisodes, la parole et l’image ont une égale importance, les deux autres « vies » filmées font la part belle au récit sous la forme du témoignage. A l’inverse du boucher, qui nous offre en quelques minutes le condensé d’une existence, Françoise Widhoff a besoin de plus de temps pour évoquer les deux ans qu’elle a passés aux côtés d’un Orson Welles vieillissant, reclus dans sa maison de campagne. C’est justement à la faveur d’une visite dans cette demeure, aujourd’hui à l’abandon, que le cinéaste crée un exercice émouvant : attraper un bout de « vie » du célèbre réalisateur en filmant les ruines d’une intimité dont il ne reste plus que les résidus épars -les nombreux bidets utilisés par le maître, sa pantoufle, ses plannings de tournage vides et ses notes sur des films qu’il ne réalisa jamais. De ce chapitre naît un double portrait inattendu ; les dernières années « stériles » d’un Orson Welles en panne d’inspiration, avec en filigrane l’évolution de Françoise Widhoff, passée de la jeune admiratrice à la femme qui réussit à se dégager de l’emprise du vieil homme. Vies n’est certainement pas le plus travaillé des films d’Alain Cavalier, mais ce qu’il perd en esthétique lui est rendu au centuple par l’humanité qui se dégage de ces images. L’agréable impression de partager l’estime du cinéaste pour ces vies qui nous sont décrites…