Vicky Cristina Barcelona est, dans l’oeuvre inégale de Woody Allen, un bon cru. Le New-Yorkais, qui le temps d’un film s’est improvisé barcelonais, a atteint, depuis Match point, une sorte de classicisme de mise en scène qui contraste avec les affèteries de pas mal de ses précédents films. Allen n’est jamais aussi mauvais que lorsqu’il tente de « faire cinéma », s’essayant un coup au noir et blanc brumeux, un autre à la caméra tremblée sans jamais finalement se trouver un style propre. Vicky Cristina Barcelona au contraire ne cherche jamais à faire style et c’est évidemment ainsi que le cinéaste le trouve, son style, dans la transparence des cadres et du montage tout entiers dévolus à la mise en scène des mots et des corps. C’est peu dire que Woody Allen n’a ici rien à prouver et jouit ainsi de la simplicité des vieux sages, dont l’art consiste à épurer toujours davantage.
Soit deux jeunes américaines, une blonde, une brune, débarquant à Barcelone pour deux mois de villégiatures, dont les idées arrêtées sur l’amour vont se trouver chamboulées par la rencontre d’un bel hidalgo. Paysages carte postale de la capitale catalane (tiens le Macba), personnages archétypaux (un artiste peintre un peu bohème, une espagnole volcanique), au fond peu importe. Le New York de ses films passés n’était pas moins touristique. C’est de toute façon un des atours de la comédie que de travailler le comique à partir de silhouettes définies en quelques traits. Non, ce qui importe ici, c’est la façon dont chaque mots, chaque dialogue est inféodé à une logique érotique et sentimentale quand bien même les personnages passeraient tout au crible de la raison. La mélancolie qui sourd peu à peu de cette comédie alerte, vient de ce que Allen met en scène des personnages contraints par la séparation des corps et des mots, des réalités corporelles avec les conceptions intellectuelles. A l’intérieur de ce va-et-vient, les personnages sont sans cesse en équilibre instable, se balançant au dessus d’un gouffre dans lequel seuls les usages civilisés les empêche de plonger.
Il y a quelque chose de rohmérien dans cette comédie qui menace toujours de se muer en tragédie (avec son lot de situations inextricables), montrant à l’oeuvre des personnages qui s’illusionnent sur eux-mêmes et ne peuvent finir qu’insatisfaits, même si Allen se réfère plus sûrement au Truffaut de Jules et Jim en convoquant quelques images clés (trois amants à vélo par exemple). S’il y a une certaine noirceur dans les derniers mots prononcés par la voix off au ton ironique, peut-être l’expérience a-t-elle été profitable, les deux américaines aux idées tranchées ayant fait, dans la vieille Europe, l’expérience de la complexité.