Dans un petit village chrétien, au coeur d’une campagne reculée du Bengale, Balaram et Nimai sont préposés à la signalisation du train qui traverse le pays, mais semble ne jamais s’y arrêter. Les deux gardes barrières occupent l’essentiel de leur temps à la lutte, leur sport favori. Deux événement vont bouleverser la vie des deux hommes et de la communauté du village : l’arrivée d’Uttara, jeune femme destinée à Balaram, et celle d’une bande de malfrats aux ordres des intégristes hindous, venus pour détruire l’église et tuer le curé du village.
Longtemps professeur d’économie, poète et cinéaste célébré dans son pays, Budhaddeb Dasgupta signe une fable poétique, qui mêle discours pacifiste et folklore bengali. Uttara, symbole de l’innocence sexuelle et politique, sème pourtant la zizanie dans l’improbable couple de lutteurs, aux relations presque homosexuelles, figure d’un monde phallocrate et replié sur ses rites. De même le message de paix de la religion chrétienne (très implantée dans certaines régions d’Inde) est brisé par la violence absurde des intégristes, représentés par un groupe de vandales. Dasgupta utilise la beauté paisible du paysage Bengale, la pureté de son folklore et de ses habitants pour mieux mettre en évidence les germes de la violence politique. Pourtant sa mise en scène évite soigneusement tout réalisme, toute référence claire à l’époque : la fable est intemporelle (le train et la jeep des tueurs sont les uniques signes de modernité), montrant l’utopie impossible d’une vie harmonieuse, autarcique.
Cette utopie est aussi un facteur d’isolement et d’ignorance, comme le montrent ces deux homosexuels qui s’ignorent, passant leur temps à lutter, à se masser et à oindre le corps de l’autre en toute innocence. Espiègle, Dasgupta a d’ailleurs délibérément ôté de leurs visages tout signe d’intelligence. D’autres modèles de vies collectives sont représentés : des musiciens itinérants battant la campagne, symboles d’une culture authentique et vivante ; un village entièrement peuplé de nains opposant leur petitesse et leur humilité toute chrétienne à la violence et à la barbarie des hommes « grands ». Ainsi, Uttara dessine en creux l’identité trouble d’un pays divisé par différents modèles de sociétés, déchiré par la violence et l’intolérance. Pas étonnant que ce conte philosophique s’achève par le plus sombre des sacrifices, comme une tragédie grecque.