Effectivement, rien n’arrête Tony Scott dans sa frénétique entreprise de faire sauter à lui tout seul l’industrie américaine des transports. Après le ferry de Déjà vu et la rame new-yorkaise de L’Attaque du métro 123, manquait encore l’occasion de porter cette récente passion sur le terrain d’un cinéma d’action de bon aloi. Le postulat de départ, de fait, avait de quoi plaire à un faiseur de sa trempe, et se prêter à un moment de cinéma à la fois efficace et théoriquement osé. Lorsqu’ils sont incontrôlables et au bord de l’explosion, les locomotives, avions, autobus, éveillent facilement le génie du suspense – le film convoque d’ailleurs pèle-mêle Speed et Terreur sur le Britannic. Malheureusement, si quelques cascades de plans savamment assemblés se montrent stimulantes, le train de marchandise lancé ici à plein régime et les héros d’un jour qui gravitent autour ressemblent cruellement à tant d’autres. L’enjeu, on le répète, est pourtant efficace : le train n’a pas de chauffeur et, chargé de produits toxiques, menace à la moindre collision de provoquer une déflagration colossale susceptible de raser l’une des charmantes bourgades traversées par la ligne. En charge d’éviter le drame au péril de leur vie : Denzel Washington et son acolyte, cheminots sans histoire mais sévèrement burnés.
Scott sait bien que le cinéma ne s’intéresse pas aux trains qui arrivent à l’heure, aussi met-il une certaine ardeur à dérégler les pendules pour créer de l’urgence, oubliant au passage quelques fondamentaux : sa caméra épileptique snobe la simplicité et accumule les secousses superflues. Le barouf produit ne gomme pas les nombreuses ritournelles et ficelles didactiques – les reportages télé utilisés pour récapituler l’horreur des situations avec une insistance explicative vite irritante. La tentative de saisir sur le vif l’énergie ambiante d’un milieu méconnu (les ouvriers derrière la lourde machinerie ferroviaire et financière) ne peut être invoquée, puisque les têtes brûlées aux commandes de l’action ne cherchent pas un instant à explorer cette veine, ni à incarner véritablement leur corps de métier. Elles se contentent plus volontiers de coller aux standards psychologiques convenus du blockbuster. Soit, ici : le tandem du vieux loup et du jeune chien fou développant malgré eux une amitié virile, dont les sarcasmes bien envoyés peinent à compenser la minceur du portrait. Comme pour achever de confondre les personnages avec ceux d’un docu-drama de la BBC, les instants critiques sont entrecoupés de coups de fil passés à la maison pour rappeler aux enfants qu’on les aime, ou d’échanges mélos autour de la question « et ta femme à toi, qu’est-ce t’as fait pour qu’elle se barre ? ».
Certes, Scott prouve à nouveau qu’il sait tenir un rythme et faire proliférer les scènes d’action à partir d’une situation initiale assez sommaire. Mais surtout il rappelle, si besoin était, qu’il appartient à la seconde des deux catégories de cinéastes croqués par Richard Linklater : « Il y a, expliquait ce dernier, ceux qui, gamins, aimaient aller au théâtre et lire de la philo, et ceux qui passaient leur temps à faire du modélisme pour regarder les trains se rentrer dedans ». Aucun mal à ça, bien au contraire, à condition d’avoir un peu d’imagination.