Au départ, l’argument d’Un Rêve algérien est simple : il s’agit de filmer le retour d’Henri Alleg en Algérie. De revenir sur sa trajectoire algérienne, qui débute avec son arrivée dans ce pays en 1939, et se poursuit avec la découverte des victimes du colonialisme et de leur misère insupportable (« ce n’était pas des mots, mais la réalité », se souvient-il). Ancien directeur d’Alger Républicain, Henri Alleg est l’auteur de La Question, livre mythique paru en 1958, aux éditions de Minuit, où il racontait son arrestation en Algérie et les séances de tortures, coutumières de l’époque, qui suivirent. Dans Un Rêve algérien, il va à la rencontre de ses anciens compagnons de lutte, c’est le fil conducteur permettant d’esquisser l’ébauche d’un « rêve possible ». D’emblée, la route promet d’être passablement tortueuse : comment substituer l’idée d’un rêve algérien aux cauchemars qui viennent à l’esprit, de la nuit coloniale, en passant par les tueries de Bentalha jusqu’aux récents tremblements de terre ?
Après une nouvelle parution de 1962 à 1965, Alger Républicain fut à nouveau interdit, après le coup d’Etat de Boumediene ; et Henri Alleg contraint de s’exiler. Pourtant, face à l’apparente immobilité d’un pays qui s’est progressivement replié sur lui-même, et au carcan d’une identité arabo-musulmane exclusive (au détriment des kabyles et des autres), le cinéaste oppose un mouvement (celui d’Alleg), ponctué de longs travellings nocturnes aux allures de requiem funèbre. Chaque ville parcourue (Alger, Annaba, Constantine, Oran, Cherchell) donne lieu à d’émouvantes rencontres, avec d’anciens compagnons de lutte ou les endroits où il fut emprisonné et torturé. Les expressions du visage (ému, indigné, jamais résigné) d’Alleg, et son regard vif, parfois mélancolique, profondément humain, n’échappent pas au cinéaste qui sait en capter l’intensité. Le point de vue de Lledo est pertinent, il s’apparente à une tentative de ré-appropriation d’une mémoire collective, en déclinant le leitmotiv d’une Algérie indépendante et fraternelle. Lors d’une scène clé, on voit ce leitmotiv sur la tombe d’un combattant pour l’indépendance algérienne, d’origine européenne, tué par l’armée française. A ce titre, l’aspirant Maillot et Maurice Laban, morts pour l’indépendance, pour que le rêve, la fraternité devienne réalité, sont cités et évoqués.
Un Rêve algérien n’est pas un film de ressentiment ; on y trouve évidemment aucune nostalgie pour l’Algérie française, au contraire. Disons plutôt qu’il enregistre la complainte sincère et pudique d’une mémoire endeuillée, qui demeure finalement peu connue des deux côtés de la Méditerranée. Une mémoire qui ne demande qu’à revivre, et qui trouve peut-être encore des échos insoupçonnés au sein du peuple algérien, comme ce passant croisé, qui se souvient d’Alger Républicain. Ou cette femme qui insiste auprès d’Henri Alleg et du cinéaste pour qu’ils prennent un café tous ensemble. Ce « rêve » en forme de dialogue impromptu entre un homme et l’Histoire, un destin et un pays, est une oeuvre nécessaire, en ces périodes de replis identitaires, ici et ailleurs.