L’histoire russe contemporaine rejouée sous la forme d’un thriller politique, c’est l’obsession de bons nombres de cinéastes venus de l’ancien bloc communiste ces dernières années : films sur les nouveaux riches gavés comme des oies, la mafia, la corruption et les pouvoirs publics gangrenés par un capitalisme sauvage. Peu, mis à part peut-être The Quickie de Sergeï Bodrov, sont parvenus à dépasser un niveau moyen peu reluisant. Un Nouveau Russe compile assez efficacement tout ce que le « genre » peut apporter de pire et de meilleur. Le meilleur, d’abord : une précision historique assez époustouflante (le film suit le parcours de Platon Makowski, baron du vol et patron de presse, pirate et paria du système aux allures de Thomas Crown), retraçant avec un soin scrupuleux les exploits du plus grand des oligarques, Berezovski, symbole de la kleptocratie ubuesque fécondée par Eltsine et l’économie de marché post-soviétique. En un peu plus de deux heures, le système se dévoile, jusque dans ses plus fines aberrations (le candidat fantoche, le racket libéral, le détournement des fonds du FMI) : l’amplitude du film, sa façon de tout traiter sous forme de fiction labyrinthique et en même temps extrêmement ordonnée, valent tous les reportages d’Envoyé spécial en donnant à cette réalité très romanesque (le grand no man’s land juridique et commercial de la Nouvelle Russie est un extraordinaire terrain à polar) une épaisseur qu’aucune approche documentaire ne saurait offrir.
Le pire, maintenant : une façon si sûre d’elle-même de trouver là matière à faire « événement » que toute idée de cinéma se trouve ici reléguée au second plan, et encore. Un Nouveau Russe souffre d’une telle foi dans son travail d’enquête qu’il relève, sur la forme, d’une platitude et d’une neutralité artistique qui confinent à la pure paresse. Michael Mann, sur des bases voisines (révéler un grand complot d’Etat) trouvait dans Révélations la matière pour entreprendre un grand travail de mise en scène qui feignait d’oublier son sujet en cours de route pour ne se laisser aller qu’à la création d’une atmosphère opératique, partagée entre crises et re-départs d’un homme que la caméra ne lâchait pas d’une semelle. Lounguine au contraire ne filme que des scènes de groupe lourdement explicatives, forcément allusives, tout en raccourcis et en enchevêtrements, s’intéressant moins, au fond, à l’humanité de son personnage principal qu’à son caractère de vecteur et de projection. Makowski évolue avec une certitude très mécanique, sans nuances, proche du mauvais western spaghetti (le plan final à la ringardise touchante sur son visage de face, sur lequel s’imprime lourdement le titre). Manque ici la fragilité, le doute, cet intérêt pour l’humain (et non la simple figure) qui aurait pu donner au film une touche de grande fresque épique. Il n’est qu’une aimable et très académique source d’informations passionnantes.