Au détour d’un plan, on aperçoit de manière fugace, une photo accrochée à un mur ; y figure l’un de ces slogans en vogue dans les années soixante : « La Revolución es la solución ». Sa présence pourrait nous faire hâtivement croire que McCarthy a mal fait son boulot et qu’il y a encore des cocos à Hollywood. Mais voilà, le cliché est en noir et blanc, il s’agit donc d’une époque révolue. Et en réalité, il n’y a pas de terme plus inadéquat que « révolutionnaire » pour qualifier ce film putassier qui, en toute modestie, se propose de changer le monde. Pour ce faire, Trevor (Haley Joel Osment), un gamin de douze ans, a une idée d’une simplicité lumineuse : il suffit de venir en aide à trois personnes, chacune d’entre elles en aidera de nouveau trois qui à leur tour, etc. « Imagine all the people… » et la chaîne altruiste de croître de façon exponentielle pour aboutir à Un Monde meilleur.
Il est étonnant de voir à quel point la réalisatrice se complaît à enlaidir ses personnages. Kevin Spacey est un grand brûlé totalement défiguré, la glamour Angie Dickinson, qui a certes quelques kilomètres au compteur, une clodo alcoolo, quant à sa fille, Helen Hunt, alcoolo également, elle est tout simplement effrayante : une sorcière aux yeux charbonneux et aux cheveux peroxydés. Ce trio de créatures d’outre-tombe justifie en soi la présence de l’interprète du Sixième sens (Haley Joel Osment), qui, avec un tel entourage, pourrait régurgiter sans complexe la réplique qui l’a rendu célèbre : « I see dead people. » Ca traduit surtout la fâcheuse tendance du film à sombrer dans le misérabilisme. De plus, le message utopique d’Un Monde meilleur n’est qu’une séduisante et naïve façade derrière laquelle se dissimule sournoisement une ode à l’individualisme et à l’ultra-libéralisme. Pour Mimi Leder, le changement ne peut provenir de l’Etat, c’est-à-dire de nos représentants élus, mais uniquement de la part d’individus qui agissent de manière ponctuelle et jamais en tant que collectivité. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause la société de façon globale, ses institutions, les valeurs qu’elle prône.
« La Revolución » est donc tout sauf la « solución » dans cet insidieux populisme qui fonctionne sur un principe de base purement utilitariste -« je t’aide uniquement parce qu’à ton tour tu viendras au secours de quelqu’un, et à un moment ou à un autre tout cela me sera favorable… » Quand, de surcroît, il n’y a qu’un pas à franchir pour se livrer à une interprétation christique du film -Helen Hunt en Vierge Marie trash et Haley Joel Osment en Messie lilliputien, on est depuis longtemps victime d’une overdose de bons sentiments et d’idéologie nauséabonde.
C’est alors à notre tour de proposer une chaîne : que chacun des trois premiers lecteurs de cet article s’empresse de dire à trois de leurs amis de ne pas aller voir Un Monde meilleur, et ainsi de suite…