Un Couple épatant compose, avec Cavale et Après la vie (en salles le 8 janvier 2003), une trilogie singulière et aléatoire. Il n’y est pas question d’additionner trois films, mais de les tisser ensemble selon une logique où la trilogie n’est pas la somme de ses parties mais, littéralement, un autre film. Ecrit et tournés simultanément, visibles dans n’importe quel ordre, les trois volets se distribuent en autant de genres apparemment hétérogènes : une comédie du remariage en paysage isérois (Un Couple épatant), un thriller politique sur l’essoufflement de l’activisme violent (Cavale), un drame sombre et intimisme sur un couple au bord de la déchirure (Après la vie). Les personnages et les corps qui les soutiennent se promènent ainsi entre trois univers, trois lumières, trois styles.
La comédie a toujours à voir avec les mathématiques. De la géométrie du burlesque à l’arithmétique sentimentale des comédies classiques d’Hollywood, une comédie réussie, c’est un film beau comme un théorème. Au fond, il n’est pas de grandes comédies qui n’entretiennent quelque rapport avec l’idée de perfection -celles de Hawks, évidemment, sont le paradigme idéal de cette équivalence. La beauté de l’équation proposée par Lucas Belvaux n’est toutefois pas à chercher dans son équilibre, dans une harmonie placée haut sur la courbe asymptotique menant à la perfection, mais davantage dans les inconnues (les « x ») qui appartiennent à la nature même du projet : de brefs interludes venus d’ailleurs (des autres films en l’occurrence), des glissements secrets qui parsèment le film à la manière des carrés noirs d’une grille de mots croisés. Dans le grand tissu formé par la trilogie, les fils d’Un Couple épatant se mêlent mélodieusement, au rythme nonchalant et légèrement neurasthénique des pas de François Morel. Avec Ornella Muti, celui-ci forme le « couple épatant » du beau titre, qui se lance dans la traditionnelle sarabande propre à la comédie du remariage au gré d’une jolie division de regards : Monsieur se croit mourant et cache à sa femme qu’il va se faire opérer, Madame s’imagine qu’il file une double vie et le fait suivre. Complots tourbillonnants, quiproquos gracieux et bifurcations malicieuses s’éparpillent au long du récit avec cette science de l’aération dont Belvaux avait déjà fait la démonstration dans le délicieux Pour rire. Un Couple épatant, par sa légèreté même, est paradoxalement celui des trois films qui prend le plus au sérieux la stratégie tricéphale du cinéaste : glisser d’une réalité à l’autre, faire co-exister plusieurs regards parallèles, telle est la clef de voûte de l’entreprise. Mieux, en laissant entrevoir par le bout de la lorgnette ce qui se passe ailleurs au même moment, et qui sera explicité dans Cavale et Après la vie, Un Couple épatant renoue avec le plus beau trait d’esprit inventé par la comédie : chercher un maximum d’élégance algébrique, une forme d’exactitude souple et ondoyante, sans jamais oublier que tout est relatif.