Que laisse-t-on derrière soi ? La question, qui travaille aussi un Assayas, est au cœur de ce nouveau Bruni-movie. Elle est posée une première fois à la grande famille bourgeoise italienne dont le film raconte la mort lente, et une seconde au personnage de Louise, joué par Bruni-Tedeschi, actrice vieillissante qui cherche l’amour et éprouve le désir fou d’être mère. Si Un château en Italie se vend comme un drame intime délicatement lové dans une saga familiale, il laisse plutôt le sentiment d’avoir été, deux heures durant, au spectacle insoutenable d’un pervers à imperméable. Et l’imperméable, c’est précisément cette fausse saga mal tricotée autour d’une intrigue principale que Bruni-Tedeschi fait mine de mettre au second plan alors qu’elle est le cœur de son œuvre : Valéria vieillit, elle VEUT SON BEBE.


Tout en nous plongeant (littéralement) la tête entre ses jambes, l’actrice-réalisatrice réfute ici et là l’idée d’autofiction, et invite par ailleurs à saluer un effort d’autocritique : quiconque est tombé dans ce panneau vous dira qu’en effet, VBT ne se ménage pas, ni en tant qu’actrice ni en tant que bourgeoise. S’il avait réellement effleuré le film, ce parti-pris aurait pu être touchant, sur le mode d’une déclinaison féminine des jeux de massacre de Desplechin. Mais sous l’autoportrait annoncé sans complaisance se révèle assez vite la vraie ambition d’un film à la gloire de l’actrice Bruni-Tedeschi, héroïne complexe et torturée venu prendre ses quartiers chez les femmes de Tourgueniev ou chez Gena Rowlands. D’ailleurs, VBT exécute très bien le roulement au sol.

 
Dans Actrices, c’est avec gêne qu’on voyait, déjà, Bruni-Tedeschi se donner le faux-mauvais rôle de la drama-queenhystérique, toujours aux bords des larmes, pas maquillée mais tout de même sublime. Comme ici, elle s’efforçait alors de racheter sa logorrhée gynéco-narcissique par l’autodérision – en désespoir de cause, elle allaitait l’enfant d’une autre et, prise en flagrant délit, se faisait insulter par la mère. Un château en italie retrouve la même autodérision masochiste, un peu burlesque un peu gore, le même petit grain de folie Télérama : Louise se recouvre le bas-ventre d’eau bénite, double une file de fidèles pour s’asseoir sur une sorte de chaise de la fécondité, explique l’insémination artificielle à une soeur italienne qui n’y comprend rien, pique une crise devant une infirmière en prétextant qu’on risque de lui inséminer le mauvais sperme. 

Il faut lorgner du côté du cinéma italien pour comprendre ce qui, probablement, inspire VBT. Difficile en effet de ne pas penser aux effluves de folie douce présentes chez Moretti ou Bellochio, deux cinéastes qui font des conflits intimes l’occasion d’un théâtre où la petite musique subjective finit par tout envahir. À cette différence que chez Moretti et Bellochio, cette folie se comprend toujours en terme de conflit entre un personnage et le monde (la société italienne et ses institutions). Bruni-Tedeschi, elle, ne sort jamais de ses propres fluides, prisonnière du circuit fermé du conflit psychique, et de son incapacité totale à intégrer dans son théâtre la loi du réel. Il suffit de voir le traitement réservé aux seconds rôles (à Xavier Beauvois notamment, embarrassant dans le rôle de l’ami clochardisé), mais aussi sa façon d’orchestrer narcissiquement la mort du frère. Il n’est pas évident, alors, de voir dans le film autre chose qu’une revanche narcissique sur une réalité à qui VBT a décidé de tirer les couettes.

C’est un film long comme un râle, vautré sur lui-même, bloqué à l’état pulsionnel d’un tout petit enfant qui se caresserait en public sans saisir la gêne alentour. De fait, Valeria se déshabille, court, s’allonge par terre, crie, pleure et rit aux éclats, ramassant toute cette hystérie dans le climax cathartique d’un gros plan sur son sexe, dans lequel on verra sans trop de risque d’erreur la véritable clef du film. Confondant subjectif et pathologique, journal intime et petit coin, phallus et Louis Garrel, Un château en Italie retient la pire option du « cinéma de l’intime ». Heureusement pour lui, il finit par prendre conscience tout seul du malentendu, formulé par la mère du personnage qui dit : «  Je ne comprends vraiment pas pourquoi tu n’as jamais fait de psychanalyse”.