François débarque dans la Vallée de Joux, en Suisse, avec son amie pour y remplacer le critique d’un journal local. N’y connaissant rien au cinéma, encore moins à la critique, il recopie les articles théoriques d’une revue de cinéma. En projection de presse, à Genève, il fait la connaissance d’une jeune femme libre, critique de cinéma pour un quotidien national, qui l’initie à une sorte de jeu amoureux pervers. Un Autre homme n’a rien du pensum sur le mensonge et la manipulation que le résumé pourrait laisser entrevoir. Pas plus qu’il ne pose un regard compassé sur le cinéma.
Filmé en noir et blanc et dans un format 1.37 (un cadre presque carré plus guère utilisé aujourd’hui) qui rappellent à bien des égards (mais en plus ensoleillé) l’image de Ma nuit chez Maud de Rohmer, Un Autre homme use de procédés formels presque anachroniques pour raconter cette histoire qui ne peut au fond que venir après la cinéphilie des années 50/60. Rien de fétichiste ici, aucune volonté maniériste de se lover dans une forme pour la dilater ou la pasticher, ni même de nostalgie d’un temps révolu dont on tenterait se raviver les feux éteints. Le film de Lionel Baier au contraire a quelque chose de tonique et de juvénile qui, si on ne soupçonnait le réalisateur d’être un véritable cinéphile, pourrait donner le sentiment d’un monsieur Jourdain qui fait de la Nouvelle Vague sans le savoir. Pas dupe Baier, en témoigne son personnage qui est tout le contraire d’un cinéphile, plutôt un arriviste qui utilise le cinéma comme un moyen pour sortir de l’ornière dans laquelle il est englué (sa copine, le trou montagnard où il habite, ses études d’Histoire qui ne lui servent à rien).
Le film est d’autant plus curieux que cet arriviste là est hors norme, sympathique malgré l’indifférence amusée qui est la sienne face aux événements de sa vie, et surtout incapable de se laisser embrigader dans les désirs des autres, s’échappant tel le vif argent dès que les circonstances menacent de le clouer au sol. Il y a deux portraits, au fond, dans ce faux film gentil. Au premier plan, celui d’un être qui cherche ses désirs sans jamais les trouver, un homme sans passion mais joyeux qui se laisse avancer sans scrupules au gré des événements. Portrait unique, singulier, qui n’a pas prétention sociologique à parler de la jeunesse d’aujourd’hui (son héros est presque hors temps, il est là mais il pourrait tout aussi bien être ailleurs). Au second plan, dans les creux du récit, et sans jamais vraiment le nommer, Baier dessine le portrait d’un monde où la cinéphilie n’est plus, remplacée par une dimension purement salariale et dépassionnée. C’est peut être cela, au fond, qui rend ce film si curieux : la description légère d’un monde sans engagement, mu par un cynisme tranquille, même pas méchant. Un monde en noir et blanc.