Qu’est-ce qui ne fonctionne pas, au final, dans Un Amour de jeunesse, troisième long métrage en moins de quatre ans de l’ex critique Mia Hansen-Løve ? Sans doute une tendance, pas neuve mais vraiment problématique cette fois, à l’excès de transparence, à l’ultra lisibilité du moindre fait, de la moindre intention des personnages comme de la mise en scène. La qualité des précédents films tenait à leur façon de travailler dans une première partie à l’installation subtile (quoique trop appliquée) d’un milieu, un univers, un cercle (familial ou professionnel) pour mieux redistribuer les cartes, faire vaciller ses assises à mesure que la fin approchait. Le père réapparaissant au bout de quinze ans dans la vie de sa fille devenue adolescente, avant de disparaître pour de bon, dans Tout est pardonné (2007) ; le producteur accompagné dans son élan durant la première heure du Père de mes enfants (2009), avant que la seconde ne se focalise sur les rares bénéfices de son absence, ce qu’il a malgré tout transmis à ses proches et ses collaborateurs : cette ligne, tracée à partir de la disparition d’une figure familière, conférait aux deux films une fragilité plutôt bénéfique.
Se focalisant ici sur la trajectoire trop lisse de Camille, jeune fille suivie des années lycée à sa stabilisation professionnelle, la cinéaste opte cette fois très nettement pour le film à visée autobiographique. Tout, dans Un Amour de jeunesse, semble trop à sa place, trop conforme à ce que Mia Hansen-Løve veut voir de sa propre histoire pour laisser augurer le moindre débordement, la plus infime sortie de route. Les personnages entourant Camille, de son premier amour à ses parents ou son nouvel amant, traversent ainsi le film comme des ombres, des faire-valoir sans influence réelle sur le cours d’un récit trop tranquille. Persiste certes dans ce cinéma une fluidité d’ensemble, une cohérence esthétique globale lui offrant une plénitude peu commune, une facture classique directement nourrie par une vraie connaissance du grand cinéma d’auteur français des années 70-80 (Doilllon, Brisseau, Gérard Blain, dont le fils ne fut pas pour rien le héros du premier film). Cette tradition naturaliste, qui a fait école depuis vingt ans, peu de jeunes cinéastes français en maîtrisent aujourd’hui les codes avec autant d’assurance.
Un Amour de jeunesse apparaît un peu comme le comble de cette fidélité, un geste purement maniériste, tout s’y voulant ouvertement romanesque, chaque mot prononcé par Camille (Lola Créton, par ailleurs assez troublante) s’offrant sciemment dans sa grande pureté littéraire. La deuxième partie, confrontant les deux ex à leur passé, si elle confère in fine au film davantage d’épaisseur, n’en demeure pas moins trop à sa place en regard d’un ensemble d’une stabilité un peu crispante. Camille et Sullivan tentent de poursuivre ce qu’ils avaient brutalement interrompu, feignent de croire en la possibilité d’un remake de leur amour de jeunesse, à l’heure où la jeune femme a fait sa vie avec un autre homme et où, logiquement, trop de temps et d’expérience leur interdisent la naïveté. Ces scènes de restauration hésitante d’une intimité sont clairement les plus belles du film et auraient même pu installer dans cette dernière partie une dimension fiévreuse voisine des grands Truffaut si, encore une fois, Mia Hansen-Løve ne craignait trop manifestement l’hétérogénéité, la franche rupture de ton. Privilégiant avant tout l’épanouissement de son personnage-miroir, sa trajectoire personnelle, elle n’offre avec ce troisième film qu’une ébauche d’expérience, un roman initiatique finalement un peu pantouflard.