Des trois films allemands à l’affiche cette semaine, Tuvalu est sans aucun doute celui dont les spécificités nationales (si tant est que de telles spécificités existent réellement dans le domaine cinématographique) sont les moins tangibles. Difficile de rattacher, en effet, ce premier long métrage à une quelconque famille de cinéastes allemands dans la mesure où Veit Helmer, son auteur, s’est efforcé de construire un récit sans dialogues, hors du temps, situé dans un espace imaginaire et interprété par des comédiens venus d’horizons totalement différents.
Tuvalu se veut avant tout un film d’images, jouant le noir et blanc onirique contre le réalisme colorié, le corps contre la parole, les sons contre les mots : un fantasme d’espéranto visuel qui puise son inspiration narrative du côté du muet, dont le patrimoine burlesque autant qu’expressionniste est largement mis à contribution par le réalisateur. Le récit oscille entre parabole comique et ballet surréaliste avec une volonté affichée en lettres capitales : celle d’atteindre à une poésie de l’absurde, entretenue à grand renfort d’éléments grotesques et de situations incongrues. Le réalisateur issu de la Hochschule für Film und Fernsehen de Munich, équivalent bavarois de la Femis, applique à la lettre les leçons d’une école qui, au vu des productions qui en proviennent, insiste principalement sur la formation technique et photographique de ses élèves. Après Surprise !, un court métrage gimmick diffusé un peu partout qui déjà évoquait Delicatessen et sentait le défi virtuose à plein nez, le revoilà sur un terrain qui, au-delà de ses références appuyées à Keaton, emprunte beaucoup à l’univers de Caro et Jeunet, tant dans la direction artistique que par le clinquant de la mise en scène.
Mais l’exercice de style n’est pas tout à fait vain et réussit, en dépit de l’afféterie de la prise de vue, à trouver un semblant de cohérence. Tout en restant toc, Tuvalu ménage quelques échappées burlesques d’une folie douce mais bienvenue ; le véritable problème de Veit Helmer étant sa difficulté à livrer un travail personnel sur un registre que d’autres avant lui ont exploré avec plus de fraîcheur. Le scénario se tient, les acteurs font les acteurs et relèvent avec un enthousiasme compréhensible le challenge de prestations atypiques au cinéma, puisque basées dans leur totalité sur la performance physique, le langage corporel et la pantomime. Denis Lavant, en particulier, se prête au jeu avec la démesure et le génie dont on le sait capable. On reprochera simplement à Veit Helmer de recycler là encore le travail d’un autre, en ce sens qu’il demande à son comédien de renouveler sa création de Mauvais sang et n’apporte rien de fondamentalement nouveau à son personnage.
A force d’imbriquer les trouvailles d’autrui, le cinéaste réussit presque son tour de passe-passe : lui reste à trouver pour son prochain film des idées qui lui soient propres.