Quatrième long métrage du cinéaste Nouri Bouzid, Tunisiennes est un film attendu pour ceux qui ont la chance de connaître ses trois précédents films : L’Homme de cendres (1986) mettant en scène un jeune sculpteur qui se souvient de son enfance et du viol dont il fut victime ; Les Sabots en or (1989) racontant l’histoire d’un homme qui sort de prison et qui tente de renouer des contacts avec sa famille et la société ; enfin, Bezness (1992) qui suit Roufa, prostitué occasionnel, sévère à l’égard de sa soeur et de sa fiancée. Aujourd’hui, Nouri Bouzid s’attache à l’étude d’une partie de la société tunisienne à travers les parcours et les points de vue de trois femmes. Aïda, divorcée qui doit affronter les difficultés quotidiennes mêlées de ragots et de mesquineries ; Amina, qui semble heureuse en mariage et qui va pourtant quitter son mari, macho dont les actes sont dirigés par une lourde éducation qui réduit la place des femmes ; enfin Fatiha, algérienne réfugiée en Tunisie qui essaie de vivre avec ses horribles souvenirs.
Ce film laisse le devant de la scène aux femmes en évitant les préjugés et en prenant le contre-pied de l’imagerie répandue qui les décrit ne vivant que dans la cuisine, silencieusement. En ceci, Tunisiennes comporte des points communs évidents avec Les Silences du palais de Moufida Tatli, film co-écrit avec Nouri Bouzid. Les trois femmes en effet, tentent de prendre leur destinée en main et refusent la vision sexiste de la société masculine dans laquelle elles vivent.
Nouri Bouzid a choisi pour ce film une forme plus dépouillée que réaliste, ce qui reste rare dans le cinéma tunisien et maghrébin de manière générale. Dans un entretien accordé à Chronic’art qui sera édité le 15 juin prochain, le cinéaste précise même qu’il pensait pendant le tournage aux films de Bergman des années 70, comme Cris et chuchotements. Bouzid a lui aussi, privilégié les visages et les sentiments de chacune à l’anecdotique. Sa mise en scène atteint même dans une séquence le symbolisme en filmant les trois héroïnes marchant et discutant dans une épave d’un navire, qu’elles observent sans crainte et qui sera l’occasion pour elles, d’un moment d’une grande complicité.
Tunisiennes reste très ancré dans la situtation sociale contemporaine et n’hésite pas à évoquer le drame algérien. Dans une longue scène, Fatiha vit un moment de crise provoqué par le souvenir de sa petite soeur tuée lors d’un massacre auquel elle a pu échapper. Ce passage, juste et bien joué, ne parvient que partiellement à susciter chez le spectateur l’effroi que doivent ressentir ceux qui ont vécu de telles horreurs. Et on en vient à se demander, comme pour la Shoah : est-ce que l’innommable, l’indescriptible, peut être représenter à l’écran d’une manière ou d’une autre ?
Avec ce film, Bouzid rend un hommage aux femmes algériennes et à celles qui choisissent de refuser l’héritage d’une éducation et d’une tradition ne laissant qu’une faible place aux femmes. Ce thème a pu en choquer plus d’un, car le sort réservé aux femmes en Tunisie est bien meilleur qu’en Iran, Algérie ou Pakistan. Pourtant, Bouzid critique, dénonce, accuse de manière explicite les hommes qui ne parviennent pas à se dégager du poids de leur éducation. Il y parvient sans trop de démonstration, à l’aide d’une mise en scène précise et fluide, faisant de Tunisiennes une oeuvre de dénonciation qui ne néglige pas l’esthétique.