C’est un amer constat sur le Kazakhstan que nous livre Darejan Omirbaev avec son troisième film, Tueur à gages. Dans ce pays « en voie de capitalisation », l’argent semble être aussi absent concrètement qu’omniprésent dans les esprits. Perdu dans une jungle économique aux horizons lointains et incertains, le pays fait ici le dur apprentissage de la liberté. À travers le destin de son héros, le réalisateur dresse le portrait d’un homme confronté à un contexte social en crise. Marat, jeune père de famille, casse LA voiture, son outil de travail, lors d’un accident où il a le malheur d’emboutir celle d’un autre, qui appartient à une sorte de yakusa à la mode kazakh. S’ensuit alors un entraînement dans la spirale de l’endettement et de la misère, filmé avec une froideur qui en devient presque cruelle tant elle est férocement lucide. Construisant son récit sur une succession de malheurs qui se superposent sur le dos déjà fourbu du jeune héros, Omirbaev analyse ce destin comme une sorte de descente inexorable vers le plus bas niveau social, qui se double d’une descente vers les tréfonds de l’âme humaine, avec en point de chute l’annihilation de la fierté de Marat, obligé d’ôter la vie pour sauver celle de sa famille. Cet acharnement du malheur sur une seule figure est la colonne vertébrale du film. Les accidents de vie de Marat s’emboîtent parfaitement au sein d’une logique qui devient système. Si l’histoire peut paraître à certains un peu forcée du fait de cette systématisation, elle n’en est pas moins réelle puisque prenant sa source dans un authentique fait divers (voir à ce propos l’entretien avec Omirbaev). C’est justement dans ce trop plein d’événements négatifs que le film prend toute sa force et son audace. N’hésitant pas à évoquer le pire des cas, le cinéaste retourne ainsi le cliché qui voudrait qu’un peu de bonheur intervienne dans tant de malheur. Il suit la trajectoire tragique de l’histoire sans ciller, ce qui fait la force du film : oser regarder le fond de front. Le regard de Darejan Omirbaev, c’est aussi une mise en scène subtile dans laquelle l’œil de la caméra ne règne plus, pour céder le pouvoir au spectateur, amené à comprendre et à sentir par une autre voie que celle de la monstration. Parce que des films aussi intransigeants que Tueur à gages se font rares, parce qu’il dégage une beauté particulière plus âpre que douce, bref parce qu’il s’agit d’un superbe film d’auteur, il faut se précipiter pour aller voir cette oeuvre venue d’ailleurs…
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