Du premier Tron, on aura retenu une mystique qui annonçait de nouvelles images, une nouvelle ère où le numérique aurait pris le pouvoir, et ceci avec quelques années d’avance (les images dont Tron est tissé n’ont rien à voir avec l’informatique, elle font semblant, exemple rare d’un cinéma qui singe son propre futur). C’est peu dire que l’on attendait cette suite, presque trente ans après, comme une manière de retour à l’envoyeur, en quoi le film se devait d’être plus qu’un « Tron 2.0 » qui montrerait le chemin parcouru depuis.
Malheureusement, le film se contente de ça : dire au premier qu’il avait bien raison d’annoncer une mutation pareille, que voilà ça y est. Ça y est depuis un moment déjà, et c’est le problème : Tron legacy n’est qu’un héritier, il n’a rien à transmettre, à annoncer. En retard au lieu d’être en avance, il ne peut que céder au syncrétisme pour devenir une sorte de grand raout terminal, une cérémonie pompière qui célèbrerait l’avènement du numérique et des effets spéciaux. Au reste, Tron legacy se voudrait un mix rêvé entre la musique (les Daft Punk) et une vision design du cinéma, comme une grande boîte de nuit triomphante qui aurait son salon 2OO1, sa musique d’ascenseur mélancolique empruntée à Vangelis pour Blade runner, et ses combats dansés entre vitesse et suspension qui ne seraient rien sans Matrix. Exemplaire, la scène où les Daft Punk mixent dans cette boîte de nuit qui résume le film : on quitte alors résolument la fiction (clin d’oeil oblige) pour se retrouver face à un tout autre régime d’image, entre clip et concert live. Ici le cinéma ne s’excède pas lui-même (ça c’est Tron n°1), il est excédé par des images qui le traversent mais ne lui appartiennent pas.
Tron legacy reprend pourtant à son compte, là encore trop tard, un certain cinéma New Age dont Cameron est le champion, sans jamais sublimer comme lui son propos : il y est question d’une nouvelle « humanité », les ISO, créée par Kevin Flynn (Jeff Bridges), au croisement de l’humain et du programme. La question de la cohabitation entre chair et numérique, au coeur d’Avatar, question de pure forme qui transcende son scénario archétypal, est remise en scène ici par le truchement d’une 3D décevante qui met à égalité des acteurs aplatis et leur environnement virtuel. Quand Avatar rendait vivant (c’est-à-dire humain) l’artefact, par contagion mimétique, la même égalité entre chair et virtuel ne produit ici que du faux, du lointain.
Le plus intéressant là-dedans reste théorique : c’est de voir Jeff Bridges face à son double numérique et rajeuni de trente ans, ubiquité temporelle inédite où un acteur peut contempler ainsi la trace de ce qu’il fut. Par quoi le cinéma n’entretient plus du tout le même rapport qu’autrefois avec la mémoire. Il fonctionnera désormais comme un disque dur, c’est-à-dire comme la Toile elle-même (rebaptisée The Grid) : il n’est plus du côté du souvenir, de la trace, mais de l’archive, de ce qui reste, où l’oubli n’est plus que l’affaire des hommes. Désormais, l’acteur doit vraiment se mesurer à ça, opposer constamment sa présence (son présent) à une puissance de calcul et surtout de stockage, qui saura faire oublier sa mort future pour en faire un double de lui-même, non plus dans le temps, mais en dehors. C’est quand même ça qui interpelle ici : les images ne meurent jamais, confiées à la mémoire infinie des machines.