Surtout ne pas se laisser abuser par le titre qui ressemble à celui des comédies pâlichonnes dont nous abreuve régulièrement le cinéma français. Très bien, merci, c’est plutôt l’angoisse. Réalisé par Emmanuelle Cuau qui avait fait impression avec Circuit Carole, en 1995 (douze ans déjà), le film suit le parcours d’un citoyen lambda (Gilbert Melki, excellent dans sa façon d’osciller entre détachement et inquiétude) dont le seul tort est d’avoir observé d’un peu trop près un contrôle d’identité (« je veux juste regarder », dit-il aux policiers) et se trouve pris dans un engrenage qui l’amènera jusqu’à l’internement psychiatrique et la perte de son emploi. Plutôt l’angoisse donc, même si Cuau évite aussi tous les pièges de la dénonciation ou de la démonstration à la truelle.
Evidemment, la première référence qui vient à l’esprit est Kafka dont l’écriture blanche, limpide, cette manière de tout étaler en pleine lumière, aboutissait paradoxalement à ce diffus sentiment d’angoisse et d’absurdité. Toutes proportions gardées, la première partie du film de Cuau prend les mêmes atours. Manières neutres des cadres, écriture réaliste (pas d’effets de lumière, pas de musique, une sorte de déroulé « logique » des enchaînements et des situations), rien d’affecté, aucune forme d’indignation et même une certaine force tranquille, due notamment aux deux comédiens principaux : on comprend mieux pourquoi, à la lecture du scénario, Melki a beaucoup ri comme le fit Kafka lorsqu’il écrivait Le Procès. Cette sorte de détachement, d’observation froide d’une suite de décisions arbitraires peut en effet, en fonction de l’état d’esprit du spectateur, faire rire ou angoisser, c’est selon. Cet air de pas y toucher, Cuau le cultive dans la première moitié de son film et décrit sans ambages, avant même l’arrestation du personnage, une société de contrôle (dans le métro, au travail) qui n’a pas vraiment des allures de science-fiction.
La modeste réussite de cette première partie ne tient ensuite pas complètement ses promesses, même si jamais Cuau ne se départit de ce ton presque léger, assez bienvenu dans un tel contexte (on est aux antipodes de l’esprit de sérieux d’un Haneke). Le film finit par flotter comme son personnage et par emprunter des chemins peut-être un peu plus convenus qui rappellent, par leurs enjeux, L’Emploi du temps de Laurent Cantet, posant comme lui la question de la normalité et de l’intégration dans la société. Très bien merci n’en continue pas moins, par de réelles subtilités de mise en scène, à distiller quelque chose de délétère tapi derrière cette façon qu’ont les personnages d’être un peu ailleurs. Témoin ce moment où rentré chez eux, Melki et Kiberlain sont assis dans leur salon. Les bruits d’ambiance ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux de l’hôpital, mais d’une manière larvée, indécise. Dans leur salon ? Une salle d’attente ? A l’hôpital ? Quelque chose se dérobe sans qu’il soit évident d’assigner ce sentiment à quelque chose de tangible. A cet aune, le réel gris, banal (presque un réel de téléfilm) mis en avant par Cuau dans une évidente volonté de neutralité stylistique (ce réel terne a quelque chose qui a trait à la norme) deviendrait presque totalitaire. Ça ne vous rappelle rien ?