L’an dernier, Michael Bay confessait que No Pain No Gain lui avait servi de rehab post-Transformers (« je me serais flingué plutôt que de refaire un film de robot », affirmait-il au site Hitfix). De ce léger burnout était donc sorti un pamphlet nihiliste sur des hommes eux-mêmes traités comme des jouets Hasbro crétins et plastifiés. Paradoxe : dans cette satire haineuse née d’une overdose de robots, c’est l’humanité qui en prenait pour son grade. Masse indistincte de sueur, de muscles et de strings, le corps organique y était particulièrement débectant. Avec Transformers 4, Bay retrouve, aussi vite qu’il s’en était détourné, ces Autobots qui semblent être ses seuls amis et l’autorisent ici à réaliser, sinon son meilleur film, du moins le plus décomplexé. Transformers 4 est l’oeuvre d’un roi rendu fou par les robots, au point de pulvériser sa véritable hantise : l’humanité, point faible de son cinéma depuis le début.
Récapitulons : pourquoi Michael Bay incarne-t-il le pire du blockbuster contemporain – cf. cette scène géniale de South Park où, au Pentagone qui lui réclame une idée créative pour contrer une attaque terroriste, Bay propose une flopée de cascades grotesques (« je ne vois pas bien la différence entre les idées et les effets spéciaux« ) ? Pour des raisons qui, très bizarrement, expliquent aussi la réussite de T4. Ce n’est pas tant que la profusion délirante dont il est coutumier soit un problème en soi : c’est plutôt que cette profusion a rarement trouvé à s’ajuster à l’échelle humaine. Avec leurs montages incapables de choisir parmi une palanquée d’angles, les premiers Transformers étaient parfaitement illisibles pour un oeil normalement constitué – un peu comme une partition devient cacophonique en accumulant les contrepoints.
L’espace y était, quant à lui, parfaitement déréalisé. Scénographe épouvantable, Bay n’a jamais su investir un décor. Là où la vision du lit bitumé de la Los Angeles River évoquera à tous la course-poursuite de Terminator 2, impossible de se rappeler de la moindre arène issue de la franchise Transformers. Quant à la figure humaine, elle y a tout bonnement disparu dans la gestuelle tristement abstraite des Autobots, jamais reliés à un nerf humain – écueil brillamment évité par le scénario de Pacific Rim, où les exploits des colosses de fer dépendaient d’une symbiose humaine.
Certes, Bay n’a guère fait de progrès à ce niveau. Mais Transformers 4 débride tant ses désirs d’épopée-foutoir que le ride touche une dimension nouvelle en faisant pour de bon le deuil du facteur humain. Comme s’il assumait enfin son mépris du corps, Bay s’épanouit pleinement dans un magma où le métal (autrement dit le digital) est, de loin, la matière dominante. Hormis une première demi-heure d’Americana aux couleurs criardes, qui voit Mark Wahlberg rafistoler la carcasse d’Optimus Prime, le film se passe des hommes autant que possible. Et quand il les filme, c’est pour les broyer, presque à la manière de No Pain No Gain : Bay s’en donne à coeur-joie avec des méchants de série Z, et même avec des gentils pathétiques (dont un chevelu évacué au bout d’une petite heure, comme on écrase un moustique). Le récit progresse, parce qu’il faut bien, avec une poignée d’enjeux moraux ou géopolitiques convenus et réduits au strict minimum : en toile de fond, Bay se contente de recycler vaguement la relation père-fille d’Armageddon.
D’où l’impression assez troublante qu’aucune identification, aucun élan d’empathie, ne sont ici requis, dans la mesure où l’humain a cessé d’être le référent. Les chorégraphies s’exécutent sans se soucier des différences d’échelles : un crash automobile au sol ou bien une collision de robots pachydermiques dans les cieux, tout prend la même ampleur. Seule importe cette vieille promesse du roller-coaster qui, il faut bien le dire, atteint enfin sa pleine mesure. Le film s’amuse à éreinter le spectateur, le sème à travers des traques enchevêtrées et des sautes vertigineuses (on bascule à Hong Kong sans trop savoir comment ni pourquoi – indice : la Chine coproduit) ; puis il le repêche en pleine chute libre, pour le faire planer au gré de travellings hagards qui balaient les champs de bataille au ralenti, à la recherche d’une jouissance visuelle toute pornographique.
L’humain en moins, reste donc la jouissance sans limite de la débauche. Car, encore une fois, T4 est l’exutoire d’un empereur en plein burnout, lâchant toutes les amarres pour céder à ses visions orgiaques. Il faudra bien un jour relire tout le cinéma de Bay, souvent vu comme un puits de cynisme sans fond, à l’aune de cette évidence : ses films cherchent, ni plus ni moins, à purger un cerveau malade de ses fantasmes de destruction. T4 y parvient avec une puissance et une absence de concessions inédites (à l’image de sa durée presque aberrante – 2h45). Certes, ceux qui espéraient encore voir Bay s’illustrer sur le terrain de l’épopée classique (vitesse, identification, mise en scène de l’espace) en seront pour leurs frais. Mais il était de toute manière trop tard pour souhaiter un tel revirement. Bay est déjà ailleurs, proposant un rapport neuf à l’action qui, pour une fois, donne raison à l’accroche de l’affiche française : les règles ont changé.