Helena, jeune femme au foyer dont le mari vient d’être licencié, décide de monter son affaire : elle ouvre une supérette et engage une nurse qui vient prendre la relève à la maison. Trabalhar cansa (« Travailler fatigue » – le titre est tiré d’un recueil de poèmes de Pavese) vit au rythme de ces rapports hiérarchiques et conjugaux sans cesse menacés d’implosion par les exigences économiques. Le père, déclassé, se vautre dans une paresse crasse ; Helena se transforme en patronne autoritaire et paranoïaque ; la nurse, comme résignée à son existence traversée d’ennui, semble vivre dans une perpétuelle conscience de classe. Très vite le drame social glisse vers le fantastique : un mur de la supérette se met à suinter, une flaque noire et visqueuse s’étale sur le sol, un caillot de sang se mêle à un jaune d’oeuf. Si le film court le risque de décharger le drame social dans la vignette métaphorique de façon trop systématique, sa force réside dans le subtil décalage de ses effets, qui ne viennent pas tout de suite parler pour l’horreur économique.
Le film compose ainsi son inquiétude par petites touches, signifiée par des occurrences de bile noire, d’humeurs visqueuses qui suintent par les interstices : amas noir rongé par les vers, squelette d’un animal monstrueux et préhistorique extrait du mur, lesquels sont toujours, pour les personnages, moins inquiétants que simplement dégoûtants. Surtout, ces manifestations sont toujours traitées pratiquement : nettoyer le sol, casser le mur, extraire à la cuillère, prélever l’impur sans se poser davantage de question. Ces plans resserrés qui fixent les termes du désastre attrapent aussi une poignée d’objets qui, dans leur silence, sont autant de signes du chaos : ruban doré accroché à un sapin de Noël, masque de Père Noël aux yeux troués, gadgets accroché à un portable, qui disent à chaque fois la lente progression de l’inerte sur le vivant, du gouffre sur l’ordre, de l’étranger sur le familier, de l’objet sur la personne.
Et c’est cette série d’obligations, d’efforts, d’objets et de fonctions, qui insensiblement accable les personnages d’une pesante fatigue. Chacun n’est alors plus qu’un insecte pris dans la glu, à la façon des ouvriers rigides, presque lobotomisés, des films de Kaurismaki. On pourrait reprocher au film de n’avoir d’autre programme que celui-ci, qui un peu limité. Reste que toute la justesse de Trabalhar cansa se situe dans cette compréhension du désastre comme suite de petits détails qui tuent, jamais plus redoutables que quand ils s’avancent à pas feutrés.