Tout près du sol : le titre fait peur et menace durant toute la première partie de témoigner de la situation du film, sorte de produit post-« Constellation de la lobotomie heureuse » rivé sur des enjeux complaisants et misérabilistes. Tous les indices sont là : présence de Jean-Marc Barr (le grand gourou de la Constellation depuis ses trois mémorables films-Dogme), cadre d’un hôpital psychiatrique, présence en long en large de demeurés (mention au petit pervers illuminé sur sa chaise roulante) et de malheureux épris de liberté (la mère de famille obèse qui pète un câble, lâche tout, finit enfin par se rouler sur le sol de sa cellule comme une sorte de rouleau à pâtisserie géant). Ajoutez-y un scénario ultra-cliché tamponné sous-Sundance (une adolescence fuit la demeure familiale et vagabonde dans un no man’s land rural peuplé d’autochtones plus ou moins tarés), deux ou trois personnages fédérateurs (une prof de danse sosie de Mia Fraye) et un accent québécois généralisé en guise de bonus qui tue.
Pourtant, le second film de Carole Laure surprend et impose, très vite, un niveau très supérieur aux films-étalons de la Constellation (T’aime et Le Margouillat notamment, dont il pourrait a priori être la synthèse féministe). Plusieurs raisons à cela : d’abord, une mise en scène très rentre-dedans qui plaque le spectateur et impose les personnages comme des entités sensibles et concrètes, immédiatement accessibles et émouvants. Ensuite, une distribution éclatante où triomphe la jeune Clara Furey (fille de Carole Laure), souvent bouleversante, incroyablement gracieuse, capable de jouer sur une fractale inouïe d’états contradictoires (garçon manqué ou bombe de féminité). Même JMB, version cinéma d’auteur de JCVD, tient la route sans forcer. Enfin, le sujet central du film, la danse contemporaine comme exutoire visuel des nœuds de la mise en scène (crises et rebondissements multiples), offre au film une sorte de coussin de pudeur à ses effets de crudité, notamment lors de la dispute initiale et d’une scène de viol particulièrement malsaine . Par sa maîtrise assez inouïe de la mise en scène, qui doit beaucoup à l’opérateur du film (filmage en DV incandescent), Tout près du sol ouvre sur des scènes extrêmement touchantes.
Plus que tout, le langage corporel qui est à la source du film témoigne d’une remarquable capacité à dépasser des enjeux strictement diégétiques (le côté très académique de l’intrigue et de ses motivations) pour basculer dans une sorte de transe sensorielle où n’importent plus que les gestes et la grâce des corps qui se mettent en mouvement. De là naît une étrangeté extrêmement envoûtante, par où le film se révèle comme une sorte de mise à nu des affects par le recours à des procédés uniquement musicaux, plastiques et formels, aux antipodes du psychologisme de bazar attendu. Sans aucun doute, le cinéma de Carole Laure, s’il s’affranchit de réflexes trop naïfs, trop étriqués (vouloir à tout prix faire cinéma indépendant par exemple), a tout pour grandir et s’épanouir à un niveau beaucoup plus ambitieux que celui de sympathique petit ovni.