Un Winterbottom peut en cacher un autre. Après les odieuses complaintes de The Road to Guantanamo, Tournage dans un jardin anglais, sorti après mais tourné antérieurement. Késako ? Le même type de documenteur (version drôle) où le comique Steve Coogan interprète au cinéma le héros d’un grand classique de la littérature anglaise du XVIIIe (l’excellent Vie et opinions de Tristam Shandy de Lawrence Sterne, réédité prochainement par les éditions Tristram). On s’en doute, la réalité et la fiction font un pas de deux, Winterbottom se la joue Nuit américaine caméra à l’épaule. A part ça ? Steve Coogan, déjà vu dans 24 hour party people, remonte le niveau. Il apporte même au film une raison d’être. Mélange de Benoît Poelvoorde et de Mathieu Amalric, c’est un acteur fascinant, gracieux et bouffeur d’espace, sorte d’ulcère dans le système qui se paie le luxe de dévier de sa trajectoire la complaisance narcissique du cinéaste.
Pourquoi ? Parce que Winterbottom devait sans doute penser à son prochain film et que l’aspect craspec de celui-là ne contient pas un gramme d’humour ni de précision. L’histoire de Tristram Shandy, film dans le film, permet de colmater les brèches et d’assurer l’estampille coq-à-l’âne, ou comment faire passer le n’importe quoi pour fable pompeuse sur le comportement humain. Pompeux certes, mais léger, le dispositif ayant ceci de bénéfique qu’il est constamment évidé de l’intérieur, recyclé par sa propre superficialité. Une scène annule la précédente et trace en forme de volte face une nouvelle posture de secours : mise en abîme, séquences purement récréatives, décrochages parasites (les affres du star-système par Steve Coogan), le film ne cesse de jongler jusqu’au point final dans un grand zapping multicolore. On pourrait couper un bon quart d’heure et le caser au début, au milieu ou à la fin. Pas grave, l’essentiel n’est qu’affaire de déroulement, de souplesse et de complaisance.
A l’acteur le plus charismatique de prendre les commandes : Steve Coogan on le répète, plus habitué à jouer les bêtes de scène que ses partenaires, endosse le premier rôle avec flegme et assurance. Malgré les personnages en pagaille qu’on lui confie (Tristram, son père et lui-même au boulot et ailleurs) sa stature pince-sans-rire permet au film de trouver un point d’ancrage, une balise réconfortante qui n’irradie rien d’autre que l’acteur lui-même. Son détachement est tel qu’il s’extrait sans cesse du film, toujours à contretemps dans la gravité ou dans l’humour, faisant de la représentation une ligne droite, rigide et insécable, volontairement tout terrain. Avec lui, on saisit la routine du labeur artistique, où la trivialité, les batailles d’ego, les flirts avec les assistantes sont investis avec la même débauche minimale d’énergie. Il est l’antidote de la mise en scène, écrasant ici son maniérisme d’une oeillade, révélant là l’imposture du trouble qu’elle tente de distiller. Le meilleur contre-acteur du moment.