Depuis l’incroyable réussite que fut Terminator 2 en 1991, un fantasme est né chez tous les fans de Schwarzenegger : le surgissement d’une suite de Total recall (pour mémoire réalisé par Paul Verhoeven, et adapté de Souvenirs à vendre de Philip K. Dick). Or, dès les années 90, il fut effectivement question d’un tel projet, non pas un reboot tel qu’on le découvre aujourd’hui, mais bien une véritable suite avec Schwarzenegger. Un scénario fut écrit à partir d’une autre nouvelle de Philip K. Dick, The Minority report, mais transposée sur Mars. Les trois Précogs devenaient des Martiens mutants, et John Anderton (joué plus tard par Tom Cruise), devenait Douglas Quaid, autrement dit Schwarzenegger. Projet avorté – mais c’est sur la base de ce script que fut écrit celui du film de Spielberg, tourné en 2002, dont le premier titre de travail (selon IMDB) fut Total recall 2.
On précise tout cela parce que le film de Len Wiseman, s’il n’est pas une suite, ressemble beaucoup à celui de Spielberg. Il en reprend le ton dépressif, la lumière noire, la course effrénée dans un futur fait de highways d’usines, d’immenses chaînes de production ; enfin ce lien fort entre simulacres numériques d’une part et mémoire/identité d’autre part. Il faut évidemment prendre en compte l’influence générale de Minority report sur l’imagerie SF à partir des années 2000, mais on sent surtout, dans ce nouveau Total recall, les traces d’étapes lointaines de sa propre gestation.
Au Chêne autrichien, donc, succède un Colin Farrell infiniment moins présent, moins talentueux, moins star. De la poussière d’étoile à côté de ce Mont Olympus de l’action que fut Schwarzenegger. Quant au film lui-même, disons-le tout de suite : s’il n’a rien de honteux, il ne parvient pas à la cheville de son modèle. Total recall nouvelle mouture ressemble avant tout à un produit SF d’aujourd’hui comme on en voit des dizaines, c’est-à-dire jamais vraiment lyrique, très calibré, boursouflé, déprimant, mis en scène au timing, et comme blasé par sa propre capacité à générer des visions (souvenons-nous de la façon dont était filmé le futur dans les années 80- 90, avec cet enthousiasme de découvreur, cette fascination de visionnaire).
C’est sur le mode la fuite physique que s’opère désormais le délire schizoïde de Doug Quaid, exactement à la façon du premier Jason Bourne (auquel il empreinte également beaucoup). Courir, sauter, bouger pour devenir quelqu’un d’autre, tenter de prendre son propre moi de vitesse. Chose assez bien vue ici, même si d’un sérieux pesant (qu’un seul demi-sourire de Schwarzenegger enverrait tout de suite valser). Oeuvre empesée, donc, nettoyée de toute ironie, violence, cruauté, et surtout de toute dimension cosmique (fini le voyage sur Mars, finis les si poétiques « objets stellaires » : tout se passe sur Terre, comme dans la nouvelle d’origine). Le délire schizoïde ressemble désormais moins à une libération, un transport, une métaphore, qu’à une maladie grave. Total recall de Wiseman a toute la gamme de teintes du couloir d’asile, transpire la culpabilité et la tristesse.
En acceptant ce parti pris, on note que Wiseman parvient quand même à inventer deux ou trois choses. Doug Quaid vit sur la hantise du vide (identitaire), transposé jusque dans la configuration de l’espace, plein de trous (voir exemplairement cette espèce d’ascenseur géant trouant la Terre de part en part, avec à proximité du Noyau un moment d’apesanteur). C’est aussi cette façon de faire de la mémoire et de l’identité une affaire d’images numériques (comme chez Spielberg), de fantômes techniques, de connexions, d’interfaces, de diodes et d’hologrammes, d’aller chercher la vérité dans les simulacres affichés plutôt que dans les présences humaines, toujours sujettes à caution. Voilà, en somme : quelques menues qualités à glaner dans les ruines d’un des plus grands mythes SF des années 90.