Eût-il été le premier film de Xavier Dolan, Tom à la ferme aurait pu n’inspirer qu’un ennui indulgent, peut-être même un peu de bienveillance pour sa maîtrise formelle privée de vrai sujet. Problème : c’est le quatrième, et il sort de surcroît après un film nettement plus abouti, Laurence Anyways, une belle fresque dont l’habileté venait contredire toutes les crispations suscitées par J’ai tué ma mère et Les amours imaginaires. Les crispations ne manqueront pas de se réveiller devant cette oeuvrette impatiemment et nonchalamment exécutée, qui a des airs de séance d’étirements pour jeune cinéaste déjà inquiet de vieillir et de devoir tourner moins d’un film par an. Dans le « mot du réalisateur » extrait du dossier de presse, Dolan évoque ce génie précoce en surchauffe : « J’ai ouvert le tiroir du petit secrétaire en bambou rempli de post-its et de napperons de restaurants noircis d’idées, de répliques et de synopsis de deux trois mots comme ceux qu’on trouve dans le guide télé ». Film-napperon, auto-excusé par le mythe du scénario qui peut tenir sur un ticket de métro, Tom à la ferme est surtout un film vite fait mal fait.
On y suit l’histoire d’un jeune publicitaire (Dolan lui-même) qui se rend à la campagne pour les funérailles de son petit ami. Tout le monde là-bas ignore la nature de sa relation avec le défunt, à part le frère, qui fera tout pour que la mère ne l’apprenne pas. Suivra une sorte de jeu du chat et de la souris entre le frère et l’invité gênant, fait de violence physique et de syndrome de Stockholm. Cette violence, la bande-annonce l’annonçait déjà, en même temps qu’elle semblait promettre un mystère, quelque chose de plus à percer que ce seul point de départ. On ne verra pourtant rien venir : le film lui-même est comme la longue bande-annonce d’un film qui n’existe pas.
À la place, on trouve un film qui aurait pu s’appeler Xavier à la ferme. Il n’est pas du tout anodin que Dolan joue le rôle principal, ni que ce rôle soit celui d’un publicitaire débarquant à la campagne. C’est presque trop ironique pour être vrai, tant cela suggère que le film, au fond, raconte avant tout l’histoire d’un cinéaste qui se fait violence pour se déprendre de son univers pop et cherche à se convaincre de son enthousiasme pour un matériau neuf. Tom à la ferme semble tenir du pur défi formel : voir, pour Dolan, si son style peut survivre dans un milieu qui lui est a priori hostile. Comme si la fascination devait être l’extrême inverse du préjugé, celui-ci cherche autour de lui ce qui pourrait bien susciter un intérêt, autrement dit une envie de clip. La longue scène qui ouvre le film et où Dolan, perfecto et cheveux peroxydés, débarque devant la ferme vide tandis que résonne une musique angoissante, annonce déjà les excès et les fausses joies à venir. Très vite il cherchera à faire émerger de ces situations cette surface purement picturale, cette distance que lui donne le plan large et semble devoir le protéger de ce qu’il filme. Parfois, cependant, Dolan retrousse les manches et façonne un petit clip en plan rapproché dans la gadoue, misant sur le potentiel d’effroi et de violence d’un match de rugby bon enfant. Entre cette distance de sécurité et ces clips gentiment boueux, il y a un grand vide dramaturgique – l’ennui du séjour chez l’habitant, un McGuffin qui n’arrive jamais à voiler son inconsistance.
Il suffit de repenser au clip ultraviolent que Dolan a réalisé pour Indochine pour réaliser que Tom à la ferme a avant tout un problème de durée. Les six minutes d’un clip sont pour Dolan le cadre le plus sûr, et le moyen le plus sage pour faire bouillir ses images. Laurence Anyways, de son côté, avait réussi à atteindre un équilibre assez miraculeux, en élevant la narration à un tel degré de romanesque qu’elle finissait par pouvoir supporter la surenchère de l’imagerie. Tom à la ferme est, à l’inverse, complètement déséquilibré, pareil à une récré trop longue, laissant l’imagerie s’emballer loin de toute dramaturgie, finissant par dire ce que l’histoire n’a pas dit, et par déployer une violence que la narration n’a jamais motivée.
Au mieux, on pourra y voir un portrait du réalisateur en citadin qui s’ennuie, un film bouillonnant d’énergie parce qu’il est constamment menacé par la page blanche, l’histoire d’un rat des villes qui a tellement peur de s’ennuyer qu’il s’amuse à avoir peur du rat des champs. Et, au lieu du récit de bruit et de fureur vaguement promis par la bande annonce, un gentil thriller sur fond de pittoresque grolandais.