Les films du Japonais fou Tsukamoto parviennent régulièrement jusqu’à nous, mais dans le désordre. Après la sortie, il y a quelques mois, de l’impressionnant Gemini, dernier opus en date du cinéaste, voilà que débarque ce Tokyo fist réalisé en 1995, entre Tetsuo 2 et Bullet ballet. Autrement dit la période où l’artiste laissait éclater ses instincts créateurs sans trop se préoccuper de son scénario, prétexte à une suite d’images affolées davantage que structure narrative classique. Peu importe en fin de compte, car les personnages de Tsukamoto valent surtout en tant qu’éléments bruts, prompts à une débauche d’énergie et de démence, éclatantes figures masochistes en proie à un bouleversement physique et mental. A l’instar de la plupart des films du Japonais, Tokyo fist ne montre que ça : comment des corps se détruisent pour mieux se reconstruire, s’écorchent et s’entretuent dans l’espoir d’un renouveau organique et total, dont on ne connaît pas vraiment la forme mais qui s’annonce évidemment mutant, forcément monstrueux.
Pourquoi ? Toutes les hypothèses se valent : angoisse de l’urbanisation galopante, désir de ressentir pleinement le monde, recherche d’un contact plus physique (poings dans la gueule ensanglantée, combats cathartiques). Mais les causes n’ont guère d’intérêt en comparaison des symptômes, variant de l’auto-mutilation jouissive au punching-ball humain. Tsukamoto a beau sans cesse traiter le même sujet (hormis dans Gemini ou, peut-être, l’inédit Hiruko the Goblin), il donne étrangement le sentiment de se renouveler de film en film, grâce à la richesse de ses thèmes séminaux (les débordements pulsionnels, la terreur de la mutation) et la fascination qui naît de leurs motifs. Sans parler de la jubilation éprouvée devant l’émergence du chaos, à savoir le passage d’un univers équilibré à un vaste champ de bataille. Ici, trois héros (deux hommes et une femme, un couple banal et un intrus perturbateur) seuls face au monde. Trois hères d’aujourd’hui s’ouvrant, par le biais de la boxe, à une perception inédite de la douleur et de la sensation en général, expérience qui implique la mise à mal de sa propre chair et de celle des autres. Simplement la violence des coups et leurs effets sur le corps. C’est énorme. Et magnifique.