Boui-boui, boucherie et bordel, on est aux trois dans The Theatre bizarre, c’est la tournée des magasins, l’happy hour crapuleuse. Avec un tel programme, on se sent moins spectateur que visiteur, ou client, on transgresse rien qu’à s’asseoir – ce que ce film à sketchs décide d’emblée d’évoquer. Tout commence par la psychopathie d’une spectatrice, qui s’en va purger sa soif de sang au Grand-Guignol. Sur la scène, une troupe d’acteurs aux allures de bizutés HEC, maquillés au sac à farine et à l’œuf de poule, bougeant comme des automates, sont chargés d’introduire les sept fragments, l’un après l’autre. Tout surgira des planches comme des visions d’hypnose ; le cinéma renaît sur les tréteaux.
The Theatre bizarre s’apprécie ou ne s’apprécie pas selon qu’on le regarde de loin ou de près, en gros ou au détail. Ses effets additionnés, ses défauts compilés, le film dégage une étrangeté poisseuse, une sorte d’enchantement délétère. L’insistance sur l’artifice (de l’équipe des automates magnétiseurs, à tout ce qui du rend le film glaçant d’amateurisme – découpage, mise en scène, tout a l’air en chantier) est tellement outrancière, que par un effet de renversement, c’est l’artificialité qui finit par devenir douteuse ; rendant l’horreur littéralement insituable, en circulation libre (entre les chapitres, mais aussi entre la scène et la fosse, la fiction et le réel). Le ratage, la faute de rythme semblent dus à un dérèglement intérieur, une anormalité souterraine par laquelle le film se révèlerait malade, dégénéré, authentiquement fou.
Comme ce genre de production invite aussi à la lecture segmentaire, et qu’avant d’obtenir la visée globale il aura bien fallu passer par le détail, il faut dire que The Theatre bizarre, à l’échelle du chapitre, n’a pas grand-chose pour plaire. C’est de l’artisanat cheap malmené par des élans d’artistes, déformé par l’envolée lyrique. Du nanar vallonné, à crêtes et ravines, dans lequel The Accident de Douglas Buck (pas moins calamiteux que son remake de Sisters) fait figure de pic. Vertige de l’intellect (« Pourquoi on meurt ? »), frisson mélancolique (regard d’enfant à travers vitre, en hiver), ivresse de poésie (une poupée à côté d’une flaque de sang), toute la lyre des émotions nobles y passe. Wet dreams, de Tom Savini (célèbre responsable sfx des films de Romero, et réalisateur d’un amusant remake de La Nuit des morts vivants, en 1990) est moins antipathique, mais pas brillant non plus. La structure en rêves enchâssés dissimule à peine ce sur quoi le film se fonde principalement : la provoc béate (c’est la castration sur divers modes, scie radiale et poêle à frire). Visions Stains de Karim Hussain a paraît-il violemment affecté le public, causant de New York à Oldenburg des pâmoisons, haut le coeur, maux de têtes et saignements de nez. A l’arrivée, juste une histoire invraisemblable (une jeune psychopathe fait des prélèvements à la seringue dans des globes oculaires, pour se faire ensuite, dans les siens, des injections de mémoire visuelle – c’est dit), avec aussi un agaçant bagout théorique, des prétentions intellos raseuses. Quelque chose en somme d’à la fois péteux et riquiqui. Avec le mochard Sweets, David Gregory rejoue La Grande bouffe en mode porno chic Haribo. On s’asticote à la pomme d’amour, se fait des langues dans la barbe à papa, s’assoit dans les Dragibus, le tout sous l’oeil épileptique d’une caméra MTV. Chapitre à réserver, s’il y en a, aux fétichistes hardcore des Chupa Chups.
Cette liste de déconvenues est précédée de deux chapitres assez beaux : Mother of toads, de Richard Stanley, meilleur épisode et de très loin, exemple de modestie et de naïveté assumée, d’ambiance trouble uniquement fondée sur le respect du genre et des folklores (gravures, grimoires, ésotérismes divers, d’habitude si souvent réduits au décorum, regagnent ici une touchante littéralité). Dans ce qui évoque à la fois Lovecraft et l’épouvante érotique du Manuscrit trouvé à Saragosse, on retrouve une Catriona McColl (actrice chez Lucio Fulci) totalement somptueuse. Moins captivant au premier abord, I Love you de Buddy Giovanizzo, tout à la fois léger, romantique et dégoûtant, parvient finalement à retrouver ce ton très spécial des tragi-comédies du Grand-Guignol, et s’en tire avec élégance.
Difficile, donc, d’apprécier The Theatre bizarre comme il passe, d’ignorer ce qui circule d’un chapitre à l’autre, de laisser de côté tous ces petits effets de contamination, qui donnent à l’ensemble cette aura malsaine si particulière. Un film qui requiert une certaine indulgence, s’apprécie un peu en décalage. Le temps que se dissipent les retombées de ses fautes de goût et de ses arrogances.