The Station agent suit les déambulations de Fin, nain rêveur qui, lassé des railleries des gens de la ville, part refaire sa vie à la campagne. Nain des villes et nain des champs : il faut pour qu’une telle histoire soit crédible que le réel, ou supposé tel, s’accommode aux lois du conte de fées. Fin, passionné de trains, hérite donc comme par magie d’une petite station désaffectée dont il fait son nid. Bonheur et apaisement : des rails toute la journée, un rôle de chef de gare fantoche et même quelques amis de passage, vendeur de hot-dogs ambulant ou jolie peintre aux allures de fée bleue. Mais attention, on n’est pas à Hollywood. C’est du sérieux : malgré ces quelques rapiéçages commodes, Tom McCarthy prend soin de ne jamais verser dans la mascarade sur l’exclusion type Rain man, Forrest gump ou Un Homme d’exception. Le résultat est évidemment bien pire.
Ambition néo-réaliste tronquée (pas de maquillages, juste un nain, un vrai, exhibé avec une fausse-pudeur complaisante), choix de l’ascèse (long plans vides, étirement et durée des scènes), esthétique naturaliste : McCarthy s’enfonce dans toutes les impasses du cinéma indépendant le plus lisse (sous-Jarmusch esthétisant, riffs de guitare déchirant un ciel de plomb, métaphore patraque des trains) pour, semble-t-il, contrer la fascination hollywoodienne pour les freaks et objets sociaux non identifiés en tout genre. Sa façon de retomber à pieds joints dans tout ce que le cinéma d’auteur marqueté a de plus éculé est pourtant confondante : de la performance du nain Peter Dinklage, compressé dans son rôle de héros du jour, aux imparables séquences à faire (regarder passer les trains, aimer sans rien attendre en retour, rester digne, rêver à un au-delà meilleur), tout le film n’est qu’une niaise parabole qui peine à s’élever au-dessus de la marabouteuse métaphysique de la compassion d’un T’aime (Patrick Sébastien, 1999).
Au vide et au vagabondage, qu’on voudrait faire passer pour pure poésie (et qui n’est en fait qu’une façon de transformer Fin, le soi-disant héros comme les autres, en freak, bête de foire enfermée dans les cadrages chics de l’indé-toc), il faut évidemment préférer la fougue et la saturation, la couleur et l’artifice, le maquillage du monde qui régit les films des frères Farrelly. L’exemple est éloquent : McCarthy, malgré lui et exactement comme les Farrelly, fait des freaks et des exclus le sujet de son film, mais plutôt que de l’assumer, le dissimule dans une sorte de glauque bienséance où importe plus que tout d’en revenir à la normalité. Son héros, malgré tous les forçages hypocrites du film, en ressort profondément exclu. Il suffit de voir L’Amour extra large ou le prochain Deux en un pour s’en convaincre : l’exclu, le malheureux tendent chez les Farrelly, sans aucun forçage (deux films fondamentalement beaucoup plus indépendants que ce Station agent) à entrer dans la grande roue de l’univers. Moins dans la forme (recours joyeux au grimage et à l’effet spécial) que dans le fond, d’une tendresse infinie. Le vertueux et le glacé de Sundance ne sont rien en comparaison de la vraie folie, chaleureuse et pudique, des plus nobles freaks du cirque hollywoodien.