Guy Maddin est sans conteste l’une des voix les plus étranges du cinéma contemporain. Travaillant le cinéma à partir de son matériau originel, le cinéma muet, il en copie la texture (scintillement, image charbonneuse), en reprend les intrigues mélodramatiques qu’il teinte de romantisme macabre, y ajoute parfois de la couleur (voir son génial court métrage Sissy boy slap party ou son chef-d’oeuvre Careful), mais surtout du son. Un son à mille lieues de vouloir « naturaliser » cet univers qui donne au contraire le sentiment d’une voix intérieure, un son de radiophone, étouffé et nasillard comme a pu l’être celui des débuts du parlant. C’est d’ailleurs ce qui déçoit un peu, ici, les incessants bavardages des personnages, leur aspect plus conventionnel qu’à l’habitude (la faute à l’écrivain Kazuo Ishiguro qui a co-écrit le scénario ?), en particulier de son héros qui a perdu l’étrangeté de ses films précédents. Moins de silences autistes et plus de babillages : peut-être est-ce la nouvelle voie dans laquelle s’engouffre le cinéma de Guy Maddin (qui, depuis The Saddest music in the world, a réalisé trois films). Attendons.
L’histoire ? Les retrouvailles des personnages d’un drame familial (père, frères, maîtresse, ex-femme) autour du concours de la musique la plus triste du monde, organisé par la baronne locale de la bière, un concours qui regroupe à peu près toutes les nationalité au sein de la ville de Winnipeg, au Canada, durant la Grande Dépression. C’est peu dire que le récit délire allègrement les stigmates de ces terribles années 30, les déréalise pour donner à ce Winnipeg enneigé une dimension de rêve éveillé qui est la marque de fabrique de l’auteur. Cela tient en particulier à cette galerie de personnages farfelus qui, à l’exception des films de Lynch et de quelques autres, a déserté le cinéma mondial : une taulière de charme cul-de-jatte (Isabella Rossellini), un musicien en deuil à l’hypersensibilité tactile (Ross McMillan), une belle jeune femme amnésique et nymphomane (Maria de Medeiros) et leur monsieur Loyal, un entrepreneur de comédies musicales au bagout de filou (Mark McKinney).
Les meilleurs moments sont ceux où les différents musiciens s’affrontent, ouvrant des collages musicaux improbables et réjouissants. Pourtant, derrière le délire de ces figures de cirque, on sent la volonté du moraliste dont on peut ne pas aimer les conclusions. Jouant rapidement de l’opposition entre les deux frères, entre l’Amérique (comprendre Hollywood) et le Canada (comprendre le cinéma indépendant d’auteur), Maddin choisi sans ambages le second, comme si seule valait la vérité de la souffrance, assumée, traduite en musique, opposée aux brillances d’un show séduisant mais moins honnête avec la souffrance (côté américain) parce que fonctionnant sur une forme d’esbroufe. Vacherie anti-hollywoodienne et vision de l’artiste un rien caricaturales. De Maddin, on aimait justement sa façon de ne pas se placer du côté de la morale. Son cinéma y était un défi au sens, au diapason de la forme étrange de ses films. Là, c’est comme si cette forme (peu conventionnelle) était artificiellement plaquée sur un récit moraliste (et conventionnel).