Un homme cherche sa bagnole : l’enjeu suffit à faire démarrer The Rover, quelque part dans l’outback post-apocalyptique. Un alliage de poussière et d’asphalte, quelques plans sur Guy Pearce aux trousses de trois clampins hirsutes, et le décor est planté. Mais attention : David Michôd ne fait pas pour autant dans la pose minimaliste. Au bout de cinq minutes, cette ouverture à la Mad Max tient ses promesses en offrant une première décharge de tôle froissée (Pearce tamponne les fuyards, on aperçoit le crash furtif par une lucarne poisseuse). Ni chichiteux, ni déceptif, The Rover annonce une propension à filer droit qui fait presque de Michôd un oiseau rare sur la carte de l’action movie d’ici et d’ailleurs (de Cannes, surtout, où le film était montré hors-compétition). Son Ausssieland « post-apo » n’est pas mental, jamais arty, encore moins métaphorique. Et The Rover, pour changer, est donc un film de genre sans entourloupes, un film de genre tout court.
Mettre la main sur ce tacot dérobé, et kidnapper le frère simplet d’un des voleurs (Pattinson, plutôt bon) pour y arriver : le film entier est tracté par ce McGuffin bas du front, juste assez concret pour justifier la traque aride. Toute la sève du périple tient alors à la vision de Pearce lancé comme un bloc, gagnant péniblement du terrain avec un fou sous son aile. Conscient que toute sa matière loge dans cette avancée pugnace, Michôd se règle sur le pragmatisme chirurgical de son driver barbu. Le road-movie n’est donc qu’une suite de déverrouillages et d’obstacles abattus, une progression inexorable où chaque tentation d’en faire trop, de se complaire dans les codes ludiques et les clichés pittoresques est court-circuitée par un dur rappel des objectifs : avancer, chercher, tuer au besoin (ainsi ce nain haut en couleurs, dont Pearce fait sauter la cervelle au bout de quelques plans, comme pour dire : ne cédons pas aux facilités du carnavalesque). Au lieu d’une odyssée ponctuée de rencontres épiques, Michôd préfère cette politique drastique du seek and destroy, filant mine de rien une idée belle et vieille comme le monde sur le prix de la vie dans cette Australie complètement cuite. Si l’existence d’autrui n’est plus qu’une embûche ou, au mieux, une monnaie d’échange (Pearce protège ce Pattinson mongoloïde par pur intérêt), où est la valeur de sa propre vie ? La tristesse filtre ici et là, et notamment dans un monologue (un peu lourd, certes) voyant Pearce regretter sa condition d’homme-robot insensible et amoral.
Ce principe de trajectoire mécanique fait donc la force de The Rover, sidérant par son entêtement à ne jamais transiger. Jamais, sauf dans son épilogue : sans rien en révéler, on peut regretter que Michôd ne fasse pas assez confiance à sa dramaturgie brute, éprouvant le besoin d’expliquer les motifs de son pèlerin sanguinaire. Mais cette chute superflue tient moins du gag de sale gosse que d’une certaine peur du vide, courante chez les artisans du suspense encore mal rodés. Qu’importe : fidèle aux nécessités de son récit, soucieux des effets et non des ornements, l’Australien prouve qu’il n’est pas le petit malin qu’on pouvait soupçonner du temps d’Animal Kingdom.