Au tsunami de 2004 devait succéder un deuxième : celui de la littérature et des films témoignant pour la catastrophe, venus récolter ses images manquantes, sur les plages des salles de cinéma. The Impossible est de ces films-là, c’est le film qu’on attend après toute catastrophe, sans surprise, comme si un événement ne pouvait avoir lieu que deux fois ; une première fois comme secret sans images, et une deuxième fois comme farce avec Naomi Watts (ou avec Bono).
Après le temps de l’appel au don, vient donc celui de l’apitoiement et de l’identification la plus ténue avec les victimes de la catastrophe. Il n’y a qu’à voir sur quoi s’ouvre le film : « Ce film est l’histoire vraie d’une famille britannique ». Puis la phrase s’estompe pour ne laisser plus apparaître que l’« histoire vraie », formule qui adhère quelques secondes, mot-clé lancinant qui décide pour nous par quel biais doit être regardé le film : toujours se souvenir que l’histoire est vraie, que nous sommes contraints au chantage à la véracité. Bayona tâtonne comme un acupuncteur à travers la mise en scène pour trouver le point de vue par lequel notre pitié sera la plus aiguë – gros plans sur le visage ensanglanté et noyé de larmes de Naomi Watts, ou plans larges accablants sur « l’étendue du désastre », alignement de cadavres, hôpitaux aux bords du chaos, plages dévastées, le film parcourant ainsi une marelle d’images télévisuelles, comme si au-delà d’elle, comme si au-delà des moments Center Parcs en famille à la désolation boueuse, il n’y avait rien à voir sinon le gouffre d’une image qui serait enfin « juste ».
A la première catastrophe succéderait donc une deuxième : celle d’un réalisateur qui pense pouvoir filmer au plus près d’elle, jusqu’à pouvoir restituer le désastre en passant par la chair d’affects hystériques qui l’entoure, comme si la commisération offrait d’aboutir par magie à une vue lucide et synoptique. Ce que postule Juan Antonio Bayona, c’est que ces images qui nous manquent existent bien quelque part, qu’en les fabriquant de toutes pièces, c’est comme si on allait les chercher. Ce tout-voir-tout-montrer, cette transparence frauduleuse de l’événement n’est bien sûr motivé que par une seule chose : consommer l’événement, bouffer du visible, quel qu’il soit, prendre sa vengeance sur ce qui se croit encore invisible, liquide comme le souvenir de quelques rescapés. Mais non, on réveille les morts et les palmiers, et on recommence.
Une famille britannique venue en Thaïlande pour les vacances bascule dans le cauchemar lorsque, barbotant dans la piscine de son village vacances, elle est emportée par un premier raz-de-marée. Tout est là, dans la façon qu’à Bayona de ne traiter la catastrophe qu’à hauteur de village vacances. Sur les bords de route, ou agrippées nues à des palmiers, les victimes ne se trouvent être que des touristes grassouillets. Les autochtones, eux, n’existent jamais que par coups d’oeil, au détour de quelques plans expéditifs qui supposent vaguement leur existence. Car le seul horizon du film, c’est bien sûr cette dernière scène de rapatriement où la famille enfin reconstituée, recouverte de sang et de boue, le plan peut se resserrer sur chaque membre en train d’attacher sa ceinture dans l’avion du retour. Splendeur et misère du rapatrié.