Tout à son académisme tranquille, The Homesman trouve sa place au croisement d’un sujet en or et d’une belle idée. En fait de conquête de l’Ouest, il s’agit plutôt de rebrousser la piste, d’en mesurer le désenchantement. Un western à rebours, en somme. N’ayant rien trouvé pour tout horizon que la folie au milieu des plaines, trois jeunes pionnières sont retirées à leurs maris puis convoyées vers l’Etat de New-York afin d’y être prises en charge. Là-dessus, le scénario plaque un canevas un peu rigide et les personnages qui vont avec. Soit Hilary Swank (le drame) et Tommy Lee Jones (la comédie), dont c’est le second film après Trois Enterrements. Mais la mise en scène se tire plutôt bien de cette opposition binaire entre drame et décontraction, académisme et rugosité. Il fait donc la route, sans oublier d’en sortir à l’occasion. Nous ne saurons rien du processus par lequel, d’un hiver à l’autre, la folie s’est emparée de ces femmes, perdus que nous sommes, comme elles, dans l’immensité vierge d’un Ouest encore à cultiver. Seul le résultat importe, et l’on peut regretter le peu d’attention que Tommy Lee Jones leur accorde, sinon comme pur prétexte.
Le film ne commence vraiment, à l’orée de quelques scènes saisissantes prélevées dans l’horreur de leur condition, qu’avec la piste empruntée à contrecœur par un vieux déserteur, lequel se fait appeler Georges Briggs (Tommy Lee Jones), et une non moins vieille fille, Mary Bee Cuddy (Hilary Swank). Le cinéaste plus que l’acteur, qui laisse encore l’impression de jouer toujours le même rôle, pathétique et bouffon, trouve malgré son programme évident l’occasion de ménager, ici ou là, des scènes assez fortes pour donner l’impression d’un voyage mouvementé. C’est par exemple pour elle un pur moment d’égarement et d’abandon au milieu du désert, qui la laisse aveugle au milieu de la nuit, pour lui un contrechamp sans retour (impossible à dévoiler ici), et surtout un hôtel poussé au milieu de nulle part, où doivent se retrouver des investisseurs pour des agapes improvisées : venu demander un peu de nourriture pour ses passagères, Tommy Lee Jones se retrouve alors dans un Tarantino « low-fi », entre répliques minimales et vengeance silencieuse. Plus tard encore, puisqu’il s’agit de rendre le western à ses oublié(e)s, le simple passage d’une charrette garnie d’esclaves noirs en partance pour les champs de coton, sans que le plan s’y arrête, dit assez la pudeur bienvenue du cinéaste, avec ce petit plus du « comme si on y était » (personne alors ne se serait retourné sur pareil équipage).
Par ailleurs, le film pèse quand même un peu sur la question, maintes fois amenée sur le tapis, de l’absence de Dieu. Et certes, la foi ne trouve ici nulle récompense, nulle échappatoire. Du coup, le film se veut tout son long un chemin de croix, sans jamais trouver vraiment à montrer l’antéchrist, soit la violence ou la folie nécessaire pour amener le genre sur un autre terrain (comme jadis a pu le faire le western italien). Mais si les trouvailles sont là à l’occasion, il y a longtemps que de son côté, la geste américaine des pionniers a épuisé le stock de ses histoires. Quand bien même il voudrait ainsi en déterrer une (celle des laissées pour compte), ne reste plus au vieux briscard que d’incarner un énième personnage de chanson country tapant du pied sur un bac au son d’un banjo de fortune, le temps de retraverser le Mississippi pour rejoindre quand même, in fine, son grand Ouest rêvé.