Soit une petite ville du Texas et les lieux-clé de l’américanité moyenne : le pavillonnaire aligné, l’hypermarché de proximité, le motel en sortie de ville, l’hôpital, sans oublier l’officine de lecture de la Bible ; puis un groupe de personnages marqué par la même stéréotypie ordinaire : le mari ouvrier téléphile, buveur de bière et fumeur de joint, son pote inséparable, célibataire et admiratif, les employées qui bullent aux caisses, le vigile qui incite à la débauche baptiste, le gérant zélé… Enfin, deux qui sortent de ce lot sociologique : Holden, un jeune garçon récemment embauché à l’hyper, écrivain en herbe, étouffé par des parents qui désespèrent de lui, et Justine (Jennifer Aniston), une trentenaire, sorte de Bridget Jones de province, c’est-à-dire pleine de désirs hauts, mais mariée quand même. Le film raconte un moment de la vie de tout ceux-là, utilisant la rencontre entre Justine et Holden comme révélateur de la petite communauté.
A ceux qui craignent d’avance le spectacle de l’ennui et de la banalité, on déconseille le film, à moins qu’ils ne soient lassés des fausses démonstrations de force de quelques productions US récentes ou des recettes « auteuristes » qui font ce qu’on considère aujourd’hui comme « le meilleur cinéma américain » (Solaris ? Punch-drunk love ?). The Good girl, c’est un peu Loin du paradis, sans l’intelligence cinéphilique post-moderne de Todd Haynes, sans référence sérieuse. Pas de Douglas Sirk à l’horizon. Pas de casting prestigieux (Jennifer Aniston et Juliann Moore ne travaillent pas vraiment sur les mêmes terres !). Pas de contenu politique implicite (quoique). Un film ordinaire donc, « good » comme la fille du titre, mais qui prend précisément de la valeur à hauteur de cette absence apparente d’ambition, cette déficience qui s’attaque à toutes les mailles du récit et l’empêche de décoller, de raconter même.
Ce n’est pas seulement que le film est une chronique, genre qui raconte peu en soi ; c’est plutôt que tout, des situations les plus banales -regarder la télévision- jusqu’aux plus signifiantes -la mort de la meilleure copine-, est marqué du sceau fatal de la platitude ou du dysfonctionnement : le poste de télé ne fonctionne pas ; le mari de Justine est stérile… Ce qui est émouvant dans les dilemmes et les questions de Justine, c’est qu’ils ne promettent jamais une once de tragique : ça ne « marche pas », voilà tout. Le jour du rendez-vous avec Holden, la meilleure amie de Justine tombe subitement malade à cause d’une infection alimentaire qui lui coûtera la vie : elle manque l’heure de rendez-vous et quand elle retrouve son jeune fiancé, c’est pour lui parler de sa collègue à l’agonie ! C’est évidemment à propos de l’échappée amoureuse de Justine que cet empêchement à faire « fictionner » la réalité est le plus manifeste. Au début de l’idylle entre elle et Holden, on pourrait croire remis sur le métier le bon vieil ouvrage de la passion amoureuse entre le femme trentenaire lassée de sa vie et le jeune garçon en quête d’absolu ; mais, très vite, presque dès le début, Justine doute de cette histoire, moins parce qu’elle craint pour son ménage -scénario classique- que parce qu’elle constate qu’Holden est un peu « cinglé », adolescent névrosé qui promet moins du bonheur que des « ennuis ». Rarement, on aura vu idylle passionnelle « négociée » avec autant de diligence et d’efficacité. Le réalisateur et son scénariste ont constamment réduit à néant les possibilités d’ »évasion » de leur héroïne : à la fin, les rêves de Justine sont plus que minces : elle retourne à sa caisse, dans un hypermarché endeuillé et plus désert que jamais ; dans un foyer où elle retrouve un mari heureux d’être enfin papa et cocu plus que de raison. Faut-il préciser que le personnage est pétrie de culpabilité : traître et infidèle, soit une « good girl » comme dit le titre. En 1h30 de film, il n’y a que le poste de télévision qui a changé, qui a été réparé (par le mari bien sûr !). Est-ce cela un film authentiquement « réactionnaire » ?